Trafic d’enfants et adoptions internationales : un crime systémique ?
Les enfants résident en orphelinats sont-ils orphelins ?
L’UNICEF estime que 8 million d’enfants résident dans des orphelinats dans le monde, selon Save the Children (2009) 80 % d’entre eux ne sont pas orphelins[1]Corinna Csaky, Keeping Children Out of Harmful Institutions Why we should be investing in family-based care, Save the Children, 2009, vii, https://resourcecentre.savethechildren.net/pdf/1398.pdf/ ; … En savoir plus.
D’après Save the Children (2009), l’exclusion social et la pauvreté expliquent ce phénomène. Cependant, plusieurs scandales impliquant des ONG, des orphelinats, des agences d’adoption et des fonctionnaires révèlent un facteur additionnel bien plus sombre : le trafic d’enfants à des fins d’adoption internationale..
Cette problématique peu étudiée met en lumière la responsabilité de certains acteurs humanitaires, qui sous couvert de missions caritatives, kidnappent des enfants dans des régions pauvres ou en guerre. Bien que ces pratiques illégales soient considérées comme marginales, des nombreuses affaires signalées à travers le continent africain et au-delà témoignent d’une réalité plus répandue et systémique.
L’affaire de « l’Arche de Zoé » au Tchad (2007)
Par exemple, en 2007, l’ONG française « L’Arche de Zoé » a tenté de faire sortir illégalement 103 enfants du Tchad, en prétendant qu’ils étaient des orphelins du Darfour. Il a été prouvé que la majorité n’étaient ni orphelins, ni du Darfour, ce qui a conduit à l’arrestation des membres de l’ONG et à leur condamnation, en France et au Tchad[2] Sylvain Mouillard, chronologie L’affaire de l’Arche de Zoé en dates, Libération, 3 décembre 2012, https://www.liberation.fr/societe/2012/12/03/arche-de-zoe-une-affaire-en-dates_864781/ .
RDC : Deux bébés achetés le troisième est gratuit ?
D’après le témoignage d’un couple Belgo-congolais, en 1999-2000, souhaitant adopter deux enfants en bas âge, le couple va se rapprocher de la communauté française de RDC. L’organisation va les rapprocher d’un orphelinat agréé par leur soins, du nom de Tumaini, localisé à Kinshasa[3]Malika Attar, #Investigation : deux plus un gratuit ! Quand l’enfant est un objet, RTBF, 19 juillet 2023, … En savoir plus.
La directrice de l’orphelinat, une belgo-congolaise du nom de Julienne Mpemba, exigera une avance de 20 000 dollars. Dans le même temps elle refusera systématiquement toutes rencontres avec les futurs enfants adoptifs.
Une fois l’adoption actée, la directrice de l’orphelinat, reprendra contact avec les parents adoptifs quelques semaines plus tard, et expliquera avoir commis une erreur de dossier. Elle proposera aux parents de faire un échange de bébé, ou de leur en donner un troisième en guise de consolation, le tout, sans frais supplémentaire.
Pendant trois ans, le couple prendra contact avec la Communauté française du Congo pour exiger des explications et porter plainte. La Communauté française du Congo ne répondra pas aux sollicitations.
Pendant ce temps-là, d’autres familles d’adoptions ont signalé l’existence de manquements graves, ce qui a permis de médiatiser l’affaire et de lancer des enquêtes judiciaires au Congo et en Belgique.
Entre 2013 et 2016, le Congo suspendra les adoptions internationales, et en 2015, cinq adoptions ont été suspectées d’être frauduleuses par le parquet fédéral belge.
Trois centres d’adoption wallons ont été visés par des perquisitions et des fonctionnaires francophones Belges ont été soupçonné de participer au réseau de trafic d’enfants[4]Fraude d’adoption d’enfants congolais : la justice belge va établir les responsabilités, 10 mars 2020, … En savoir plus.
Cette affaire révèlera que les enfants ont été kidnappés, puis vendus à des familles étrangères pour dégager des profits, avec la complicité de fonctionnaires congolais et occidentaux. Le degré d’implication de la Communauté française du Congo et l’ambassade française sont également à questionner.
L’affaire « European Adoption Consultants »
En 2018, une enquête de CNN a révélé que l’agence d’adoption, « European Adoption Consultants », basée aux Etats-Unis a été impliquée dans un réseaux de trafic d’enfants. Des aides locales promettent aux parents, souvent illettrés, que des orphelinats prendront en charge l’éducation des enfants gratuitement.
Les enfants sont ensuite placé en orphelinats et vendu à 15 000 dollars par tête, à des parents adoptifs américains. Des avocats, des professeurs, des policiers et des juges ougandais ont été impliqués dans ces réseaux de trafic d’enfants. Les familles américaines adoptives ont découvert que certains enfants avaient encore des parents biologiques en vie[5] Randi Kaye, Wayne Drash, Kids for sale: ‘My mom was tricked’, CNN, 13 octobre 2017, https://edition.cnn.com/2017/10/12/health/uganda-adoptions-investigation-ac360/index.html .
Cette affaire pose également la question de la corruption des autorités américaines et congolaises qui ont permises ces adoptions sans vérifications supplémentaires. Par ailleurs, les activités de l’agence ont été suspendu par le Département d’Etat américain pour une période de trois ans après la publication de l’enquête. Le procureur d’Ohio lancera une procédure judiciaire pour fermer l’agence définitivement[6]Département d’Etat des Etats-Unis, European Adoption Consultants (EAC) Temporary Debarment Upheld, 15 décembre 2017, … En savoir plus. Toutefois, l’on ne sait pas actuellement si justice a été rendu.
Le kidnapping d’enfants maliens par « Rayon de soleil de l’enfant étranger »
Le journal Le Monde a révélé en 2022 qu’au Mali, dans les années 1990, l’ONG « Rayon de soleil de l’enfant étranger » aurait kidnappé plusieurs enfants maliens à leurs parents pour les faire adopter en France.
Le même mode opératoire que ceux mentionnés au-dessus sera employé. L’ONG promettra aux parents que les enfants iront faire leurs études en France, sans frais à débourser de leur part. Mais ces enfants seront vendu à des parents adoptifs français.
Cette affaire révèle que dès les années 1980, le ministère des affaires étrangères français a ignoré plusieurs signalements lancé par des consules et des ambassadeurs de France sur les pratiques douteuses de l’ONG et a continué à livrer des visa et des passeports à l’ONG[7] Scandale des enfants «volés» au Mali: «Des alertes ont été lancées et sont restées ignorées par le Quai d’Orsay», RFI, 25 novembre 2022 .
Interdictions d’adoptions internationales d’enfants Rwandais et Ethiopiens
L’abondance de ces affaires a poussé plusieurs Etat a suspendre l’adoption de leurs ressortissants vers des Etats étrangers. C’est le cas du Rwanda qui a retrouvé 41 enfants rwandais trafiqués jusqu’en Europe et adoptés illégalement, à Brescia, en Italie. Le trafic a tellement pris de l’ampleur que l’Etat à créer le National Adoption Council pour lutter contre ces pratiques illicites[8]Benyam D. Mezmur, « The Sins of the Saviours » : Child trafficking in the context of intercountry adoption in Africa, HCCH, 2010, 11, … En savoir plus.
L’Ethiopie a également interdit l’adoption internationale de ses orphelins pour lutter contre le trafic d’enfants, et contre toutes pratiques illégales en lien à l’adoption internationale et à la maltraitance d’enfants adoptés[9]Éthiopie : les députés votent l’interdiction des adoptions par les étrangers, AFP, 11 janvier 2018, … En savoir plus. Cette politique avait été voté par le parlement en réaction à plusieurs affaires, dont celle « Hana Williams ».
En 2013, un couple américain avait été condamné pour meurtre au premier degré pour la mort de leur fille adoptive de 13 ans, Hana Williams, adoptée d’Ethiopie. La jeune fille était morte en 2011 d’hypothermie due à de la malnutrition, des maltraitances, et au fait d’être forcée de dormir dehors par une nuit glacial et pluvieuse[10] Bijan Hosseini, Ethiopia bans foreign adoption , CNN, 3 février 2018, https://edition.cnn.com/2018/01/11/africa/ethiopia-foreign-adoption-ban/index.html .
Le 31 décembre 2016, le ministère des Affaires étrangères français avait aussi, suspendu les adoptions d’orphelins issues du RDC en raison d’irrégularités constatées. Parmi elles, des fraudes administratives, « des consentements de parents biologiques donnés longtemps après le jugement d’adoption, ou même inexistants, une absence de preuve de décès des parents biologiques, ou encore des enfants ayant « trois actes de naissances »[11] RDC: la France suspend les adoptions, AFP, 25 novembre 2016, https://www.lepoint.fr/societe/rdc-la-france-suspend-les-adoptions-25-11-2016-2085777_23.php .
Le 17 octobre 2023, un arrêté français avait suspendu les procédures d’adoption internationale des enfants issues de Madagascar, pour des inquiétudes similaires[12]Arrêté du 17 octobre 2023 portant suspension des procédures d’adoption internationale concernant les enfants résidant à Madagascar, Ministère de l’Europe et des affaires … En savoir plus. Une politique paradoxale lorsque l’on tient compte des manquements du ministère des affaires étrangères concernant l’affaire du « Rayon de Soleil » et celle de « Tumaini ».
Le syndrome du « sauveur blanc » prédominant dans l’humanitaire ?
Un élément intrinsèque au trafic d’enfants dans la plupart des affaires mentionnés ici est le syndrome du « sauveur blanc », où des personnes blanches issues d’Occident se présentent comme les seuls capables de « sauver » les enfants africains de la pauvreté.
Ce syndrome pousse des couples a choisir l’adoption internationale plutôt que locale, pour « sauver » des enfants africains de la misère, et des ONG caritatives à kidnapper des enfants pour les mêmes motifs en plus de l’aspect lucratif.
Ce syndrome renforce l’idée que les familles africaines sont incapables de prendre soin de leurs enfants et renforce donc les stéréotypes racistes. Cette vision de l’Afrique a servis de prétexte pour justifier la colonisation. Il fallait sauver les populations autochtones de leur barbarisme en leur apportant civilisation (culture, éducation, développement), par la force si nécessaire.
Ce racisme permet aux ONG de masquer leurs pratiques criminelles et néocoloniales derrière une façade d’altruisme, permettant non seulement de vendre des enfants, mais également d’attirer des dons.
Par ailleurs, certaines de ces ONG permettent à des citoyens occidentaux de participer à des « voyages humanitaires » au sein d’orphelinats africains contre paiement pour des périodes définies. Ce type de pratiques s’apparentant à du « tourisme de la pauvreté », sont particulièrement lucratives, exploitent les enfants pour attirer des fonds (et des likes sur les réseaux sociaux), et renforcent les stéréotypes du « sauveur blanc ».
Enfin, sans la participation active de certains africains sans scrupules qui profitent du syndrome du sauveur blanc et de la pauvreté endémique, ce trafic d’enfant n’aurait pas pu voir le jour.
Un caractère systémique ?
L’on observe dans presque chacune des affaires mentionnées plus haut un mode opératoire similaire. Des parents sont approchés par des ONG, des orphelinats ou des individus qui leurs offrent de prendre en charge la scolarité de leurs enfants. Ils promettent qu’ils seront placé dans des internats locaux ou en Occident, et pourront revenir régulièrement rendre visite à leurs familles.
Ces parents biologiques, souvent en situation de pauvreté extrême et illettrés, sont facilement manipulés par des discours bien huilés exploitant leurs faiblesses, et parfois seront même payés pour accepter. Mais sans le savoir, ils vendent leurs enfants. Dans d’autres cas, les enfants seront tout simplement arrachés par la force à leurs parents.
De telles pratiques font échos a celles pratiquées au 19ème siècle par les puissances coloniales, qui ont été volé des enfants à leurs parents pour les placer dans des orphelinats, et les faire adoptés par des familles blanches, ou les faire tuer.
L’affaire de la Creuse, est l’un des cas les plus marquants concernant la France. Au minimum 2 150 enfants Réunionnais ont été volé à leurs parents et répartis dans 83 départements français sous les administrations de la cinquième république. Les hommes politiques français craignaient « la démographie galopante » de l’île et souhaitaient la freiner[13]Chloé Leprince, « Enfants de la Creuse » : une mémoire défaillante sur un crime impuni, France culture, 10 avril 2018, … En savoir plus.
Aux Etats-Unis et au Canada, des enfants natifs américains arrachés à leurs parents ont été répartis sur tout le territoire pour de mêmes raisons, et certains seront tués en masse par des orphelinats religieux[14] Ranjani Chakraborty, How the US stole thousands of Native American children, Vox, 14 octobre 2019, https://www.vox.com/2019/10/14/20913408/us-stole-thousands-of-native-american-children ; .
Il y a donc non seulement des origines coloniales au trafic d’enfants à des fins d’adoptions, mais les modes opératoires sont souvent identiques, confortant la thèse d’un phénomène systémique, et non pas de simples faits divers isolés.
De plus, le laxisme de certains Etats, dont la France et les Etats-Unis concernant ce type d’affaires, et les cas de corruptions suggèrent parfois des complicités au plus haut sommet des administrations.
Quelles solutions?
Il est urgent que les gouvernements africains prennent des mesures extrêmement strictes pour protéger les enfants et réguler les actions de toutes institutions impliquées dans ce type de trafics, qu’elles soient locales ou internationales. Des mesures pourraient inclure des législations:
- interdisant les adoptions à des ressortissants étranger,
- permettant un contrôle régulier du bien être et de l’environnement dans lequel les enfants évoluent post-adoption
- permettant un contrôle systématique et routinier de chaque ONG spécialisé dans l’aide aux enfants et aux orphelins,
- un durcissant de l’accès aux licences pour les orphelinats et agences d’adoptions et des inspections non annoncées.
La majorité des orphelinats étant remplis par d’enfants avec au moins un parent en vie est un problème majeur qu’il faut régler. Il est impératif de :
- lancer des campagnes de sensibilisations visant les parents illettrés et les populations isolées et souffrant de pauvreté chronique concernant le trafic d’enfants,
- fournir des aides sociales conséquentes aux foyers pauvres et marginalisés sur un modèle de caisses d’assurances sociales pourrait être une avenue.
- Augmenter les salaires des fonctionnaires et lutter de manière proactive contre la corruption
La question du financement se posera inévitablement, mais les Etats auront intérêt à s’endetter pour des mesures sociales qui permettront de mieux garantir un avenir et de garder des milliers d’enfants au sein de leurs communautés. Ceux-ci grandiront et apporteront une valeur ajoutée à leurs Etats en travaillant, en innovant, en consommant et en payant des impôts.