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Mali : Quels sont les enjeux stratégiques des sanctions ?

Résumé : En s’appuyant sur la littérature et des données qualitatives et quantitatives robustes, cet article conclu que les enjeux des sanctions économiques à l’encontre du Mali sont d’accélérer la transition afin de mettre en place un gouvernement docile aux intérêts français et de mettre fin à la coopération Mali – Russie.

En effet, plusieurs points permettent d’atteindre ces conclusions, premièrement, la CEDEAO a largement démontré son manque de crédibilité dans la promotion de la démocratie. Deuxièmement, si la CEDEAO est focalisée sur un « retour à l’ordre constitutionnel », la situation sécuritaire empêche l’organisation d’élections libres. L’accent doit donc, dans un premier temps être mis sur la sécurisation de l’Etat et ensuite de l’instauration de la démocratie. Enfin, les sanctions économiques ont le potentiel de délocaliser les groupes armés présents au Mali vers les pays voisins et ainsi, vont à l’encontre des intérêts sécuritaires des États de la région.

Ce constat est possible puisque les politiques de la CEDEAO émanent de Paris. En effet, son contrôle du franc cfa, permet à l’État français un contrôle intégral de l’économie, de la politique, du choix des chefs d’États de la région et donc, de la CEDEAO. Cette monnaie, lui permet de continuer de bénéficier des avantages acquis lors de la colonisation. En outre, les accords et traités de défense signés avec le Mali au début des opérations Serval et Barkhane, permettent de donner un cadre juridique à la présence militaire française dans la région et ainsi, permettent la protection des intérêts que les autorités françaises jugent vitales.

De ce fait, le coup d’État malien, la posture panafricaine des autorités de transition et le choix de diversification des partenaires de défense, notamment avec l’ennemi de l’OTAN, mettent en péril ce système de domination. Une réussite dans la sécurisation du Mali avec la Russie menacerait de répandre ce type de politiques dans la région toute entière et donc, menace le « pré-carré » français. Passer par la CEDEAO et se positionner comme un « soutien » diplomatique de l’organisation régionale africaine permet à la France de légitimer sa politique africaine et d’éviter les accusations de néocolonialisme.

Bamako, Mali : Siège du gouvernement malien
Bamako, Mali: siège du gouvernement malien

1. Le contexte malien et les sanctions du sommet extraordinaire de la conférence des chefs d’État de la CEDEAO du 9 janvier 2022.

1.1. Les Assises Nationales de Refondations (ANR)

Suite au coup d’État du 24 mai 2021, les autorités de transitions maliennes menées par le Président Assimi Goïta ont fait part de leurs volontés d’inclure toutes les parties prenantes et la population civile dans le processus de sécurisation et de refondation de l’État, et dans la définition de la durée de la transition. Dans cette démarche, les Assises Nationales de la Refondation (ANR) ont été organisées.

Dans une allocution le 23 septembre 2021, le Président de la Transition affirmait que les « maux qui minent l’État et la société » depuis l’indépendance, à savoir la corruption endémique des élites et l’impunité judiciaire ; le manque de répartition équitable des richesses nationales ; et les dysfonctionnements institutionnels, sont les facteurs expliquant la crise multidimensionnelle dans laquelle le Mali se trouve aujourd’hui.

Selon lui, il est impératif de refonder l’État afin de sortir du paradigme actuel. Pour ce, le Président de la transition a jugé essentiel de « donner la parole au peuple » qui doit être en mesure de déterminer son avenir et « des moyens pour y parvenir » [1]Chiencoro Diarra, « Mali : le panel des Assises nationales de la refondation installé », Sahel Tribune, 27 Octobre 2021, … En savoir plus.

Ainsi, les ANR seraient l’occasion faire un « diagnostique sans complaisances […] de l’ensemble des préoccupations nationales afin d’impulser une vraie dynamique de changement »[2]« Assises nationales de la refondation : Le colonel Assimi Goïta en porte-à-faux avec la CEDEAO et certains partis politiques », Maliweb, 23 septembre 2021,  … En savoir plus. Elles ont été divisées en trois phases[3]Chiencoro Diarra, « Mali : le panel des Assises nationales de la refondation installé », Sahel Tribune, 27 Octobre 2021, … En savoir plus :

  1. La première phase, du 22 novembre au 5 décembre 2021, a donné la parole aux populations des communes et des cercles locales ;
  2. Les consultations au niveau des régions, du district de Bamako et des zones de concentrations des Maliens établis à l’étranger ont eu lieu du 6 au 12 décembre 2021 ;
  3. La dernière phase, les consultations au niveau national, se sont déroulées du 20 au 26 décembre 2021.

Le Ministre en charge de la Refondation de l’État, Ibrahim Ikassa Maïga, a rappelé que le Panel des Hautes Personnalités des ANR a eu la charge d’organiser et de coordonner les assises, et sa mission était de[4]Chiencoro Diarra, « Mali : le panel des Assises nationales de la refondation installé », Sahel Tribune, 27 Octobre 2021, … En savoir plus :

  • « Conduire les concertations avec les forces politiques et sociales, en vue de préparer la tenue des Assises et d’assurer leur participation ;
  • D’élaborer des éléments de directives et le règlement intérieur des Assises Nationales de la Refondation ;
  • De mettre en œuvre le calendrier des Assises Nationales de la Refondation ;
  • D’élaborer un plan de communication sur les Assises et de suivre sa mise en œuvre ;
  • D’approuver les plans opérationnels des assises ;
  • De centraliser les rapports des étapes intermédiaires et les actes des Assises Nationales de la Refondation ;
  • De produire et de soumettre au Président de la Transition un Rapport des Assises Nationales de la Refondation. »

Accusée de n’être « ni inclusive, ni participative », les ANR ont été boycotté par une coalition d’environ 60 partis politiques, dont la plupart sont proches de l’ex Président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), dû aux soupçons selon lesquels il s’agirait d’une manigance pour prolonger la durée de la transition [5]L’Union pour la République et la Démocratie (URD) ; le Parti pour la Renaissance Nationale (PARENA) ; et le Mouvement du 5 juin – Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP) ; le … En savoir plus.

La coalition a également appelé au respect strict de la durée de la transition décidée par le gouvernement civil précédent (août 2020 – mai 2021) et par la CEDEAO, et d’organiser des élections d’ici le 27 février 2022[6]« Boycott des ANR et de l’OUGE : Les partis et groupements politiques du cadre d’échange saisissent le premier ministre » Mande Infos, 16 septembre 2021 … En savoir plus. Si cette coalition de partis est non négligeable, le fait qu’elle se présente comme « l’écrasante majorité des partis et regroupements politiques » du Mali est discutable.

En effet, le Mali compte 182 partis politiques officiellement enregistrés selon le site du Ministère de l’administration territoriale et de la décentralisation[7]Ministère de l’administration territoriale et de la décentralisation « Liste des partis politiques », République du Mali, 2021 … En savoir plus. Ainsi, dans les faits, la coalition boycottant les ANR représente 33 % des partis politiques maliens.

Si l’on tient compte de leur poids électoral, il reste difficile à évaluer puisqu’aux dernières élections législatives de mars-avril 2020, les taux de participation anormalement élevés dans les localités non sécurisées, dont Kidal, suggèrent des pratiques de bourrage d’urnes d’après une observation de Baba Dakono, un chercheur à l’Institut d’études de sécurité (ISS). Ainsi, en dépit des soupçons de fraudes électorales, seule 35 % du corps électoral malien se serait exprimé, une estimation qui est donc à revoir à la baisse et qui questionne la légitimité des élus.

Ce faible taux était entre autres dû, à la situation sécuritaire dans le pays et aux appels au boycott pour éviter la propagation du Sars-Covid-19 dans les bureaux de vote, et, aux kidnappings par des groupes armés terroristes de plusieurs leaders de l’opposition quelques jours avant les suffrages, dont Soumaila Cissé[8]«  Confirmation de COVID-19 au Mali : Risques de boycott des législatives du 29 Mars ! », aBamako, 27 mars 2020, http://news.abamako.com/h/231984.html ; Séraphine Charpentier « Élections … En savoir plus.

Par ailleurs, excepté l’Adema PASJ, les principaux partis alliés au Président déchu Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) qui ont largement bénéficié de l’abstention, des fraudes électorales et des kidnappings, font tous partis du boycott des ANR[9] Séraphine Charpentier « Élections législatives au Mali : le parti présidentiel en tête, devant la formation de Soumaïla Cissé », TV5 Monde, 24 Avril … En savoir plus.

Malgré le boycott annoncé par la coalition de partis politiques, et l’argument des représentants de la CEDEAO pointant du doigt le manque de participation des principaux acteurs politique, il semblerait que les ANR aient suscité une participation active de la part de la majorité des partis politiques, de la société civile, de la population et de la diaspora.

Le 30 décembre 2021, à la clôture des ANR, 534 résolutions ont été retenues afin de refonder l’État malien. Ce qui a notamment causé la controverse est la décision d’étendre la durée du mandat du Président Assimi Goïta et d’organiser des élections présidentielles d’ici fin décembre 2026[10] https://www.aa.com.tr/fr/afrique/mali-les-assises-nationales-d%C3%A9bouchent-sur-534-r%C3%A9solutions/2461730. Une autre décision importante à noter, est la diversification des partenaires de défense, notamment avec la Russie.

1.2. Les sanctions alourdies et l’incohérence de la CEDEAO.

Le 15 septembre 2020, lors de la transition civile menée par Bah N’daw (du 18 août 2020 au 24 mai 2021), un accord avait été conclu entre le Mali et la Conférence des chefs d’État et de Gouvernement de la CEDEAO. Les chefs d’Etat de la région avaient validés une Charte de Transition et un calendrier électorale prévoyant des élections présidentielles pour le 27 février 2022.

Si le second coup d’État et l’annonce des ANR ont mis fin à l’accord côté Mali, la CEDEAO n’a pas cessé de se référer à cette charte et s’opposait formellement à la tenue des ANR

Ainsi, le 5 janvier, en réponse aux conclusions des Assises, le Médiateur de la CEDEAO Jonathan Goodluck a été dépêché au Mali pour renégocier la tenue des élections dans des délais « raisonnables ». La décision finale prévoit des élections un an plus tôt, fin 2025. Une décision jugée « inacceptable » par les dirigeants de la région. Dans une interview accordée à l’ORTM (un média malien), le premier ministre a affirmé que « le temps proposé à la CEDEAO est le temps nécessaire pour appliquer les réformes voulues par le peuple »[11]Yaya Konaté, « Interview du Premier ministre de transition malien, Choguël Kokalla Maïga », ORTM à 1:08 https://www.youtube.com/watch?v=Itr2mpcdB7I ; ONU, Conseil de sécurité, Conseil de … En savoir plus.

En réaction à cette décision, lors du sommet extraordinaire des chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO du 09 janvier 2022 sur la situation au Mali, les sanctions initiales imposées contre les membres du gouvernement de transition, du Comité national pour le salut du peuple (CNSP), et leurs familles, ont été renouvelées et de nouvelles mesures y ont été superposées[12] CEDEAO, Paragraphe 9(b), Communiqué de la 4ème session extraordinaire de la conférence des chefs d’État sur la situation au Mali, 9 janvier 2022 . Ainsi, il a été décidé de fermer les frontières communes des États membres avec le Mali et d’imposer des sanctions économiques à échelle nationale[13] CEDEAO, Communiqué de la 4ème session extraordinaire de la conférence des chefs d’État sur la situation au Mali, 9 janvier 2022 .

En conséquence, toute transaction financière et commerciale entre les États membres et le Mali sont suspendu jusqu’à nouvel ordre [14] CEDEAO, Paragraphe 9(c), Communiqué de la 4ème session extraordinaire de la conférence des chefs d’État sur la situation au Mali, 9 janvier 2022  ; les avoirs de la République du Mali, de ses entreprises publiques et semi-publiques dans les banques commerciales des États membres sont gelés[15] CEDEAO, Paragraphe 9(d et e), Communiqué de la 4ème session extraordinaire de la conférence des chefs d’État sur la situation au Mali, 9 janvier 2022    ; et enfin, toutes les assistances et transactions financières octroyées par les instances de la CEDEAO dont la Banque d’Investissement et de Développement de la CEDEAO (BIDC) et la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD) sont également suspendus jusqu’au retour de « l’ordre constitutionnel »[16] CEDEAO, Paragraphe 9(f), Communiqué de la 4ème session extraordinaire de la conférence des chefs d’État sur la situation au Mali, 9 janvier 2022 ,

La conférence des chefs d’État condamnait entre autres l’incarcération de personnalités politiques et d’anciens dignitaires Malien et a demandé leurs traitements judiciaires en conformité avec l’État de droit [17] CEDEAO, Paragraphe 14, Communiqué de la 4ème session extraordinaire de la conférence des chefs d’État sur la situation au Mali, 9 janvier 2022 .

En représailles, le Mali a rappelé ses ambassadeurs et fermé les frontières avec les États membres, à l’exception de la Guinée Conakry qui a refusé d’appliquer les sanctions. Choguël Kokalla Maïga, a néanmoins annoncé rester ouvert au dialogue avec la CEDEAO[18]ONU, Conseil de sécurité, « Conseil de sécurité: le Représentant spécial appelle les partenaires du Mali à appuyer les aspirations de la population et aider à résoudre les défis de la … En savoir plus.

Assimi Goïta a également appelé la population à manifester contre ces décisions. Le 14 janvier 2022, des millions de Maliens ont répondu présent dans les grandes agglomérations du pays. Plusieurs dizaines de manifestations ont également eu lieu dans les États de la région et en France, suggérant très clairement une forte popularité du gouvernement de transition non seulement au Mali, mais aussi à l’étranger [19]« Les maliens ont manifesté en masse à Bamako et dans les autres grandes villes du pays », RFI, 14 janvier 2022, https://www.rfi.fr/fr/afrique/20220114-t ; « Mali : La transition riposte aux … En savoir plus.  

Dans une précédente publication, Affaires Africaines a suggéré que la CEDEAO refuse systématiquement d’agir face aux révisions anticonstitutionnelles et aux dérives autoritaires des Etats membres. Ainsi, Patrice Talon (Bénin), Alassane Ouattara (Côte d’Ivoire), Alpha Condé (Guinée) et à Faure Gnassingbé (Togo) ont tous eu recours à des pratiques autoritaires et/ou de maintien anticonstitutionnel du pouvoir exécutif, en violation du Traité et des protocoles d’application de la CEDEAO. Néanmoins, ils ont tous participé à l’imposition de sanctions contre le Mali pour le retour de « l’ordre constitutionnel » [20]« Bénin : une dérive autoritaire qui inquiète », Franceinfo, 06 janvier 2022, … En savoir plus.

>> A lire : Mali, Guinée : Comment les coups d’État illustrent les dysfonctionnements de la CEDEAO ?

Par ailleurs, la littérature à clairement suggérée qu’il n’existe aucune donnée empirique permettant d’attester de leur efficacité à contraindre les États sanctionnés à respecter leurs engagements. Les sanctions ayant présentées une efficacité relative ont toutes été accompagnées de mesures complémentaires, notamment d’une isolation totale sur la scène internationale et ont durée dans le temps. En revanche, il a été montré que plus des sanctions sont longues, plus elles aggraveront les inégalités socioéconomiques et les souffrances des populations locales. De plus, peu d’exemples empiriques attestent de leurs capacités à aboutir aux résultats politiques escomptés[21] Sylvanus Kwaku Afesorgbor, Renuka Mahadevan « The Impact of Economic Sanctions on Income Inequality of Target States » Max Weber Program (2016/04) :1-21 .

Cependant, les chefs d’État de la CEDEAO ont malgré tout décidé d’aller vers plus de mesures punitives à l’encontre du Mali, risquant de faire évoluer négativement la crise sécuritaire et de faire déplacer les groupes armés terroristes à la recherche de produits de premières nécessités. Ces déplacements pourraient générer une intensification des attaques dans toute la région et accroître le nombre de réfugiés. Selon l’ONU, le nombre de personnes déplacées qui s’élevait à 216 000 en 2020 avait presque doublé en 2021 pour atteindre les 400 000 personnes[22]N’DIAYE Karim, « Au Mali et en Guinée les coups d’État illustrent les dysfonctionnements de la CEDEAO. » Affaires Africaines, 4 janvier 2022, … En savoir plus.

Si la CEDEAO est focalisée sur un « retour à l’ordre constitutionnel » et à l’organisation d’élections présidentielles au plus tard au 27 février 2022, rappelons que les régions Nord, Centre, et Sud du pays, pullules de groupes armés terroristes affiliés aux Groupement de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM/ JNIM) et à L’État Islamique au Grand Sahara (EIGS).

Selon le Premier ministre, 80 % du territoire ne serait pas contrôlé par l’État. Il est également connu que ces groupes armés se sont mêlés à la population dans ces régions et dans certains cas, la séquestre au quotidien. L’on peut donc à juste titre, interroger la légitimité de la CEDEAO dans la promotion de la démocratie, de même que la faisabilité de l’organisation d’élections libres à l’heure actuelle au Mali[23]Omar Ouahmane, Lucile Wassermann « Le club des correspondants : Quel est l’état de la menace terroriste au Mali et en Irak ? », Franceinfo, 10 septembre 2021 … En savoir plus.

Par conséquent, l’approche de la CEDEAO est questionnable. Que cherche-t-elle à accomplir au travers des sanctions ? Le paragraphe 14 du communiqué de la quatrième session extraordinaire sur la situation au Mali apporte un indice intéressant en ce qu’il exprime une inquiétude des chefs d’État de la CEDEAO qui n’est pas liée à l’organisation d’élections. Il s’agit du déploiement de troupes de « mercenaires » russe, Wagner.

Selon le communiqué final, l’intervention de l’entreprise risquerait potentiellement de « déstabiliser » la région Ouest Africaine entière. Une analyse prêtant à confusion, puisque dans les faits, le Mali est en guerre depuis une décennie, et le Groupement de soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM/JNIM) et l’Etat Islamique au Grand Sahara (EIGS) sévissent en toute impunité au Mali, au Burkina Faso, au Niger depuis 2016-2017 et plus récemment en Côte d’Ivoire.

De plus en moins de deux ans, trois gouvernements de la région ont été renversés par les armes, sans compter les tentatives de coup. Ainsi, il n’a pas fallu attendre la présence de « mercenaires » russe pour que la région soit déstabilisée[24]Paragraphe 14 du Communiqué de la 4ème session extraordinaire de la conférence des chefs d’État sur la situation au Mali du 9 janvier 2022 ; « Côte d’Ivoire : ce que l’on sait sur … En savoir plus.

1.3. Le Conseil de Sécurité de l’ONU est divisé sur la question du Mali

Dès fin 2021, les rumeurs d’un rapprochement entre le Mali et la Russie avaient mené la France à faire savoir son refus catégorique de voir l’entreprise russe, qu’elle qualifie de groupe de « mercenaires », d’intervenir militairement au Mali[25]« Le Grand Jury du 21 novembre 2021 », LCI, 21 novembre 2021, 42ème minute, https://www.lci.fr/replay-lci/video-le-grand-jury-du-21-novembre-2021-2202520.html .

Ainsi, après l’annonce des sanctions de la CEDEAO, la France a multiplié les appels à soutenir les sanctions auprès des membres du Conseil de Sécurité de l’ONU et des États membres de l’Union européenne[26]« France presses EU to agree sanctions against Mali, in line with ECOWAS », News Wires, France 24, 13 janvier 2022, … En savoir plus.

Mardi 11 janvier 2022, le Conseil de Sécurité s’est réuni concernant la situation au Mali et les sanctions prises par la CEDEAO. Officiellement, l’enjeu était pour les « A3 » (le Gabon, le Niger et le Kenya), de convaincre les douze autres membres du Conseil de soutenir les sanctions de la CEDEAO à l’encontre des autorités de transition maliennes tout en continuant d’approvisionner les forces de la MINUSMA et du G5 Sahel [27]ONU, Conseil de sécurité, « Conseil de sécurité: le Représentant spécial appelle les partenaires du Mali à appuyer les aspirations de la population et aider à résoudre les défis de la … En savoir plus.

Conseil de sécurité de l'ONU
Conseil de sécurité de l’ONU

La question de l’intervention du groupe Wagner au Mali était au centre des discussions. Les principaux arguments avancés par la diplomatie française étant le manque de légitimité des putschistes d’une part, et les différents rapports mettant en lumière des accusations graves de violations des droits de l’Homme et de crimes de guerre commises par Wagner d’autre part[28]« Le Grand Jury du 21 novembre 2021 », LCI, 21 novembre 2021, 42ème minute, https://www.lci.fr/replay-lci/video-le-grand-jury-du-21-novembre-2021-2202520.html ; Marc Perelman, Franck Alexandre, … En savoir plus.

Selon le représentant français, le groupe Wagner est « connu pour menacer les civils, violer le droit international et la souveraineté des États ». Les délégations de l’Albanie, des États-Unis ont tenu des propos similaires[29]ONU, Conseil de sécurité, « Conseil de sécurité: le Représentant spécial appelle les partenaires du Mali à appuyer les aspirations de la population et aider à résoudre les défis de la … En savoir plus.

Les autorités de transition du Mali ont affirmé quant à elles, ne pas avoir pris d’engagements officiels avec le groupe Wagner, et les rumeurs de la présence de mercenaires au Mali, seraient infondées, puisqu’il s’agirait d’instructeurs de l’armée russe conseillant et formant les Forces armées maliennes (Fama) à l’utilisation de matériels acquis auprès de la Russie[30]ONU, Conseil de sécurité, « Conseil de sécurité: le Représentant spécial appelle les partenaires du Mali à appuyer les aspirations de la population et aider à résoudre les défis de la … En savoir plus.

La délégation chinoise a prôné le respect du principe de non-ingérence régissant les relations internationales, et la délégation russe a quant à elle défendu le droit des autorités de transition du Mali « d’interagir avec d’autres partenaires qui sont prêts à coopérer avec eux dans le domaine du renforcement de la sécurité »[31]ONU, Conseil de sécurité, « Conseil de sécurité: le Représentant spécial appelle les partenaires du Mali à appuyer les aspirations de la population et aider à résoudre les défis de la … En savoir plus.

Le représentant de la Fédération Russe a ajouté que :

« Sur fond de la modification inattendue de la présence de la France, notamment avec la fermeture de plusieurs bases, le Mali se retrouve seul face à tous ces terroristes et, à cet égard, nous estimons que les Maliens ont tout à fait le droit de coopérer avec d’autres partenaires qui sont prêts à coopérer avec ce pays pour renforcer la sécurité »[32]« Les sanctions contre le Mali divisent le Conseil de sécurité de l’ONU », RFI, 11 janvier 2022, … En savoir plus.

En effet, l’implication de la Russie dans la sécurisation du Mali intervient, suite à la restructuration de l’opération Barkhane annoncée en octobre 2021. Alors que la situation sécuritaire continuait de se dégrader, le Président Français Emmanuel Macron annonçait la « fin de l’opération Barkhane », car selon lui, la France « ne resterait pas aux côtés d’un pays où il n’y a plus de légitimité démocratique ni de transition ». Le retrait effectif fut annoncé en juin par le Président Français[33]« Mali : la France menace de se retirer, les pays voisins en discussion », Libération, AFP, 30 mai 2021, … En savoir plus.

À la suite de cette annonce, les autorités françaises ont dit être prêtes à promouvoir une intervention militaire multilatérale, notamment via la force onusienne MINUSMA, la force Européenne de Takuba et le G5 Sahel[34]« Europe deploys Takuba task force in Mali as France draws down troops », RFI, 16 décembre 2021, … En savoir plus.

En réalité, il s’agit d’une réorganisation de l’opération qui a déplacé ses bases dans la région frontalière avec le Burkina Faso et le Niger, et passant de 5 000 soldats à 2 500-3 000 d’ici 2023. Une restructuration qui avait été décrite comme un « abandon en plein vol » par le Premier ministre malien dans un discours à l’Assemblée générale de l’ONU[35]David Rich, « Fin de l’opération Barkhane : quelle stratégie pour les forces françaises au Sahel ? », France 24, 14 octobre … En savoir plus.

Discours du premier ministre de transition malien, Choguël Makalla Maïga à l'ONU le 25 septembre 2021
Discours du premier ministre de transition malien, Choguël Makalla Maïga à l’ONU le 25 septembre 2021

Bien que les Forces armés maliennes (Fama) aient obtenu plusieurs victoires notables ces dernières années, il est clair qu’une coopération militaire reste la bienvenue afin de mettre un terme à la menace terroriste au Sahel. Ainsi, après les annonces de la fin de l’opération Barkhane, les autorités de transition ont cherché de nouveaux partenaires pour résoudre la situation sécuritaire et sont entrées en contact avec la Russie, qui aurait servi, selon les rumeurs, d’intermédiaire avec l’EMP Russe, Wagner.

Si le groupe Wagner n’a été qu’évoqué dans le paragraphe 14 du communiqué final de la 4ème session extraordinaire de la conférence des chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO sur le Mali, ce sujet, et non « le retour à l’ordre constitutionnel » était au centre d’un bras de fer entre la France, les Etats Unis et les A3 d’un côté, et le Mali, la Chine et la Russie de l’autre au conseil de sécurité de l’ONU.

En conséquence, le projet de déclaration visant à ce que le Conseil de Sécurité appuis les sanctions de la CEDEAO s’est soldé par un échec, dû au veto de la Chine et de la Russie[36]« Les sanctions contre le Mali divisent le Conseil de sécurité de l’ONU », RFI, 11 janvier 2022, … En savoir plus.

À la lumière des faits énoncés, l’indignation des chefs d’État et de Gouvernement de la CEDEAO face au rallongement de la transition parait peu crédible. Par ailleurs, l’implication active de la France pour qui il est « impossible d’envisager que le groupe Wagner puisse intervenir au Mali » ; qui refuse de mettre fin à l’opération Barkhane malgré une impopularité croissante au Sahel, un coût de près d’un milliard d’euros par an ; qui totalise 53 soldats français morts depuis 2014 ; et qui œuvre activement à ce que l’ONU et l’UE adoptent des résolutions soutenant les sanctions, suggèrent l’existence d’intérêts stratégiques sous-jacents qu’il convient d’interroger[37] « Le Grand Jury du 21 novembre 2021 », LCI, 21 novembre 2021, 42ème minute, https://www.lci.fr/replay-lci/video-le-grand-jury-du-21-novembre-2021-2202520.html .

A cet effet, cet article analyse les enjeux stratégiques derrière les sanctions imposées contre le Mali. Quels objectifs la CEDEAO espère atteindre ? Comment l’historique de violations du droit international du groupe Wagner n’est pas une préoccupation de la CEDEAO ? Comment et pourquoi les sanctions vont à l’encontre des intérêts régionaux ? Quel rôle la France joue dans ce dossier ? [38]« La France ne quittera pas le Mali et reste déterminée dans la lutte contre le terrorisme, dixit le ministre français des Armées », Lefaso, 20 septembre 2021, … En savoir plus.

Afin de répondre à ces questions, le chapitre suivant analyse comment l’historique des violations des droits de l’être humain du groupe Wagner n’explique pas la volonté de la CEDEAO et de la France de mettre fin à la présence russe au Mali, le chapitre suivant analyse comment la France contrôle les politiques des Etats membres de la CEDEAO afin de protéger ses intérêts acquis lors de la colonisation et comment cela se matérialise dans le cas malien. Le chapitre d’après servira de conclusions et proposera des recommandations.

En s’appuyant sur la littérature et des données qualitatives et quantitatives robustes, cet article conclu que les enjeux des sanctions économiques à l’encontre du Mali sont d’accélérer la transition afin de mettre en place un gouvernement docile aux intérêts français, de mettre fin à la coopération Mali-Russie, et de maintenir le Mali sous influence française.

En effet, plusieurs points permettent d’atteindre ces conclusions, premièrement, la CEDEAO a largement démontré son manque de crédibilité dans la promotion de la démocratie, puisque plusieurs chefs d’États autoritaires, bafouant le droit international et les principes démocratiques siègent à la conférence des chefs d’Etat et n’ont jamais été inquiété par l’organisation régionale.

Deuxièmement, si la CEDEAO est focalisée sur un « retour à l’ordre constitutionnel », les dernières élections législatives maliennes, où plusieurs candidats avaient été kidnappés par des groupes armés terroristes quelques jours avant les scrutins, et le fait que 80 % du territoire soit hors du contrôle de l’État questionne la faisabilité de l’organisation d’élections libres.

Troisièmement, les sanctions économiques pourraient déstabiliser les États encore relativement épargnés par le terrorisme (Sénégal, Mauritanie, Guinée), puisque la raréfaction des denrées alimentaires et des réserves d’énergies (gasoil et gaz) poussera les groupes armés présents au Mali vers les pays voisins.

De là, l’article interroge les intérêts stratégiques poussant la CEDEAO à agir à l’encontre de ses propres intérêts vitaux. Il est conclu que le contrôle du franc cfa, permet à l’État français un contrôle intégral de l’économie, de la politique, du choix des chefs d’États de la région et donc, de la CEDEAO.

Cette monnaie, permet à la France de continuer de bénéficier des avantages acquis lors de la colonisation. En outre, les accords et Traités de défense signés avec le Mali au début des opérations Serval et Barkhane, permettent de donner un cadre juridique à la présence militaire française dans la région et ainsi, permettent la protection des intérêts que les autorités françaises jugent vitales.

De ce fait, le coup d’État malien, la posture panafricaine des autorités de transition et le choix de diversification des partenaires de défense, notamment avec l’ennemi de l’OTAN, mettent en péril ce système de domination. Une réussite dans la sécurisation du Mali avec la Russie menacerait de répandre ce type de politiques dans la région toute entière et donc, menace le « pré-carré » français.

Passer par la CEDEAO et se positionner comme un appui à l’organisation régionale permet à la France de légitimer sa politique de « soutien » des organisations régionales africaines et d’éviter les accusations de néocolonialisme.

2. Comment l’historique des violations des droits de l’être humain du groupe Wagner n’expliquent pas la volonté de la CEDEAO et de la France d’empêcher son intervention au Mali ?

2.1. Mercenariat et Entreprises Militaires et de Sécurités Privée (EMSP) : deux activités à distinguer

Avant de s’arrêter sur le cas du groupe Wagner, il convient de déterminer le statut du groupe. Pour ce, cette section s’appuie sur la littérature pour opérer une distinction claire entre le mercenariat et les Entreprises Militaires et de Sécurité Privées (EMSP).

Selon Ruta Nimkar (2010, p.3) la définition largement acceptée d’un mercenaire est celle introduite par le Protocole additionnel I, Article 47 et la Convention Internationale contre le recrutement, l’utilisation, le financement et l’entraînement des Mercenaires. Celle-ci les défini comme des personnes[39] Ruta Nimkar, « From Bosnia to Baghdad The Case for Regulating Private Military and Security Companies » Yale University, M.A thesis, 2010, p.3 ; ONU, Assemblée générale « Convention … En savoir plus :

  1. Qui sont spécialement recrutées dans le pays ou à l’étranger pour combattre dans un conflit armé;
  2. Qui prennent part directement aux hostilités ;
  3. Qui prennent part aux hostilités essentiellement en vue d’obtenir un avantage personnel promis par une Partie au conflit. La rémunération matérielle est également nettement supérieure à celle perçue par des combattants ayant un rang et une fonction dans les forces armées de l’Etat en question ;
  4. Qui ne sont ni ressortissants d’une Partie au conflit, ni résidents du territoire contrôlé par une Partie au conflit ;
  5. Qui n’ont pas été envoyée par un État tiers en tant que membres des forces armées.
  6. Qui n’ont pas été envoyée par un État tiers en tant que membres des forces armées.

Les mercenaires doivent également prendre part aux opérations offensives et toutes ces conditions doivent être réunies pour qu’un individu soit considéré comme tel dans le droit international. Par ailleurs, la convention définit les mercenaires comme des individus pratiquant une activité illicite. Les services qu’ils proposent sont également limités au combat selon Ruta Nimkar (2010, p.3)[40] Ruta Nimkar (2010, p.3).

D’après la littérature, le mercenariat est à distinguer des Entreprises Militaires et de Sécurité Privée (EMSP – aussi connu sous l’acronyme ESSD en France – Entreprises de Services de Sécurité et de Défense). À l’instar des mercenaires, il n’existe pas de consensus sur la définition des EMSP. [41]Kimberly Marten, « Russia’s use of semi-state security forces: the case of the Wagner Group », Post-Soviet Affairs, 35:3, (2019):183 . Cependant, certains chercheurs apportent des définitions intéressantes permettant d’en comprendre les caractéristiques uniques sur le marché libéral.

Les EMSP seraient une catégorie large dont les Entreprises Militaires Privée (EMP) et les Entreprises de Sécurité Privées (ESP) sont des sous-catégories. La distinction entre les deux catégories s’opère en fonction des services proposés.

Les Entreprises de Sécurité Privées (ESP) ne prennent généralement pas directement part aux conflits armés ni aux opérations militaires. Ces entreprises proposent des services de protection de personnes, de groupes de personnes et d’objets, de housekeeping, de détention de prisonniers et de personnes exilées, de logistique (dont le transport et la déportation de prisonniers) et autres biens et services. Leur clientèle est variée, elle est constituée d’ONG, de multinationales, d’organisations gouvernementales et internationales ou encore de particuliers.

Les Entreprises Militaires Privées (EMP) quant à elles, participent activement aux conflits armés. Elles proposent généralement des services d’entraînement de forces armées et de sécurité étrangères, de maintenance et de mise en service de systèmes d’armements, de détention de prisonniers en zone de conflits. Les EMP peuvent également envoyer des « expandables » (soldats « remplaçables » en français) conseiller des forces armées Étatiques dans leurs opérations militaires, ou prendre directement part aux combats. La clientèle des EMP est généralement constituée d’organisation gouvernementales et d’organisations internationales.

Cependant, la ligne distinguant les EMP des ESP est parfois floue. Une entreprise peut procurer plusieurs services caractérisant les EMP et les ESP simultanément, en revanche, notons que les services caractérisant les EMP sont opérés par une infime minorité de l’industrie. Les compétences requises par le personnel des EMP et les appels d’offres étant plus rares que sur le marché des ESP[42]Avant, D. The Market for Force: The Consequences of Privatizing Security. New York : Cambridge University Press, (2005) : p.17 ; McFate, S. The Modern Mercenary. New York: Oxford University Press, … En savoir plus.

Mark Fulloon (2015), définit les EMP comme des businesses qui marchandes des compétences professionnelles intimement liées à la guerre au travers de services. Si, à l’image des mercenaires, les EMP procurent des services militaires contre de l’argent, et n’ont pas (en théorie) de loyautés, en pratique, la plupart des hauts cadres de ces entreprises sont passés par le ministère de défense ou par les forces spéciales de leurs États respectifs. Il serait donc illusoire de penser, par exemple, qu’une EMSP Étasunienne puisse être employée par la Corée du Nord ou la Chine et inversement[43] Mark Fulloon, « Non State Actor : Defining Private Military Companies » Strategic Review for Southern Africa, Vol 37, No 2, 2015, 29 .

Ainsi, deux faits majeurs distinguent les EMP des mercenaires. Contrairement aux mercenaires, les EMP sont des entités enregistrées en tant qu’entreprises ayant recours aux « contrats », ils sont donc légalement autorisés à exercer leurs activités à travers le monde à condition d’être employé.

Deuxièmement, les EMP ont une offre de service diversifiée et différents profils d’employés, ce qui n’est pas le cas des mercenaires qui sont des individus isolés ne proposant leurs compétences que pour participer au combat[44]Ruta Nimkar, Yale University, (2010, p.4).

La fin de la Guerre Froide et de l’Apartheid, ayant permis l’introduction d’ex-soldats des forces spéciales sur le marché du travail international ; le début de la globalisation ; l’impuissance de l’ONU face aux crises humanitaires après l’ex-Yougoslavie, la Somalie et le Rwanda ; couplés au fait que le Département de la Défense des États-Unis (DoD) a graduellement sous-traité les tâches du Pentagone, ces facteurs ont tous contribué à l’émergence de cette industrie internationale.

Dès lors, la guerre a de plus en plus été sous-traitée par les États du monde entier[45] Ruta Nimkar (2010, p.5) ; Mark Fulloon, « Non State Actor : Defining Private Military Companies » Strategic Review for Southern Africa, Vol 37, No 2, 2015, 30 . Par exemple, l’entreprise Sud-Africaine Executive Outcomes (EO), est intervenue en Sierra Léone dans les années 90 et a repoussé en quelques jours le Front Révolutionnaire Unis (FRU), un groupe de rebelles tristement connu pour son recours au viol et des violences sexuelles comme des « armes de guerre » psychologique [46] Ruta Nimkar, (2010 pp.7-8) .

Les entreprises américaines MPRI et britanniques, Sandline International sont également intervenues respectivement en Croatie durant la guerre en ex-Yougoslavie, et en Papouasie-Nouvelle-Guinée en 1997. L’Américain Halliburton-KBR, avait décroché le contrat « LOGCAP » avec le département de défense (DoD) américain en 1992, afin d’apporter un support logistique aux troupes stationnées à l’étranger. Enfin, en 2010, l’Américain DynCorp avait obtenu un contrat avec le DoD étasunien afin de former la police irakienne. [47]Ruta Nimkar (2010, p.11) ; « Logistics Civil Augmentation Program (LOGCAP) : Responsive, full-service logistics support to forces deployed around the world» KBR, … En savoir plus.

Maintenant que les EMSP et le mercenariat sont clairement distingués, comment définir le groupe Wagner ?

2.2. Le Groupe Wagner, une EMP au service des intérêts Russes 

D’après la littérature, le groupe Wagner aussi connu sous le nom de « CHVK Vagner », est une EMP Russe ayant des liens étroits avec le Kremlin. Le groupe Wagner ne correspondrait pas aux EMP conventionnelles et ne rentrerait pas dans le moule d’après la plupart des analystes [48]Kimberly Marten, Russia’s use of semi-state security forces: the case of the Wagner Group , Post-Soviet Affairs, 35:3 (2019):181-204, … En savoir plus.

Deux aspects en particulier font que l’utilisation russe des EMP, dont Wagner, diffère de celle faite par les États-Unis et ses alliés (Royaume-Uni, France Israël, Afrique du Sud, Allemagne etc.) selon la littérature [49]Kimberly Marten, Russia’s use of semi-state security forces: the case of the Wagner Group, Post-Soviet Affairs, 35:3, (2019):182 ;  :

  1. La Russie ne reconnaît pas légalement les EMP sur son territoire ;
  2. Les EMP Russe sont utilisées pour satisfaire les intérêts de l’État et parfois simultanément, les intérêts d’oligarques proches de Vladimir Poutine, dont Yevgenii Prigozhin.

Selon Kimberly Marten (2019), l’absence de statut juridique des EMP en Russie permet au Kremlin d’entretenir un doute sur l’implication de l’État lors d’opérations à l’étranger menées par des EMP comme Wagner. D’une certaine façon, cela permet à l’EMP d’avancer les intérêts stratégiques Russes au travers de l’entreprise, tout en évitant une confrontation directe avec le camp ennemi, en l’occurrence les États-Unis et ses alliés[50]Kimberly Marten, Russia’s use of semi-state security forces: the case of the Wagner Group, Post-Soviet Affairs, 35:3, (2019):181-204 ; Niklas M. Rendboe, « Connecting the dots of PMC Wagner : … En savoir plus.

Par ailleurs, Wagner récolte des fonds publics et dépend des services de renseignements du FSB et de GU pour décrocher des contrats à l’étranger et pour le recrutement de personnel. Ainsi, Rendboe (2019, p66) propose de définir Wagner comme une « Entreprise militaire d’État ». [51] Niklas M. Rendboe, « Connecting the dots of PMC Wagner : Strategic actor or mere business opportunity? », University of Southern Denmark, M.A. thesis, 2019, pp39-41

La nature du groupe Wagner et ses violations des droits de l’être Humain a fait couler énormément d’encre dans la littérature, notamment parce que c’est l’une des seules EMP russe sur laquelle les journalistes locaux ont pu enquêter et révéler plusieurs faits de corruption, de violation des droits d’être Humain ou de collusion avec le pouvoir centrale.

Afin de mieux comprendre les enjeux des sanctions de la CEDEAO, il convient savoir de quoi le groupe Wagner est accusé. Si les exactions de Wagner sont extrêmement documentées, Niklas M. Rendboe (2019, 69) rappel néanmoins qu’au moins à partir de 2018, la grande majorité des sources proviennent de média Occidentaux et donc sont potentiellement biaisés[52] Niklas M. Rendboe (2019, p69) .

  • Les exactions commises par le groupe Wagner en Libye et en Centrafrique.

Libye 

Selon Amnesty International Human Rights Watch et l’ONU, en 2018-2019, le groupe Wagner aurait installé des mines anti-personnel russe et de l’ère soviétique de types MON-50s, MON-90s, OZM-72s, and MS3s dans la ville d’Ain Zara et Salah el-Din (région de Tripoli) et ce malgré l’embargo sur les armes en Libye.

Les mines anti-personnelles sont également prohibées dans le droit international pour leur caractère non-discriminant (peuvent blesser ou tuer des civils). Des dizaines de civils auraient été tués et/ou mutilés par ces mines [53]« Libya : Retaliatory attacks against civilians must be halted and investigated », Amnesty international, 5 juin 2020 … En savoir plus.

Par ailleurs, Wagner apporte un soutien militaire aux troupes du Libyan Arab Armed Forces (LAAF), commandé par le Général Khalifa Hiftar. Il est entre autres accusé par deux familles libyennes, ayant déposé une plainte aux États-Unis, de crimes de guerre et de violations des droits de l’Homme lors du siège de Ganfouda, à Benghazi en 2017 [54] « World report 2022 : Libya events of 2021 », Human Rights Watch, https://www.hrw.org/world-report/2022/country-chapters/libya .

République Centrafricaine 

En 2018, trois journalistes russes travaillant pour l’Investigation Control Center, Orkhan Dzhemal, Alexander Rastorguyev et Kirill Radchenko, ont été tués dans une embuscade. Ils préparaient un documentaire sur les activités en République Centrafricaine du groupe Wagner et ses relations avec le Kremlin par l’intermédiaire de Yevgenii Prigozhin. Une enquête journalistique très étayée révèle que leurs assassinats étaient prémédités, que les tueurs connaissaient l’itinéraire des journalistes et étaient des professionnels compte tenu de leurs modes opératoires [55] « Final Report on the Murder of Orkhan Dzhemal, Aleksandr Rastogruev and Kirill Radchenko in the Central African Republic », Dossier Center, https://dossier.center/car-en/ .

Par ailleurs, toutes les parties prenantes au conflit centrafricain, dont les casques bleus, les troupes gouvernementales et le groupe Wagner ont été accusés de recours à la torture, à des arrestations arbitraires, aux kidnappings, à des exécutions sommaires de masse, à des viols et autres violations des droits de l’être Humain et du droit international sur des populations civiles[56]« CAR: Experts alarmed by government’s use of “Russian trainers”, close contacts with UN peacekeepers », UNHR, office of the High commissioner, 31 March 2021, … En savoir plus.

2.3. Le cas des EMSP Russe n’est pas isolé, les violations des droits de l’être Humain et de corruption sont propres à l’industrie entière.

Si le groupe Wagner est indéniablement responsable de la commission de crimes de guerre et de violations du droit international en toute impunité, Il est ici essentiel de préciser que c’est un trait caractéristique partagé par l’industrie entière à l’international. Les EMSP ont presque toutes été accusées d’une façon ou d’une autre de faits de corruption et/ou de commission de crimes graves similaires à ceux imputés à Wagner.

Sallyport Global Holdings

Sallyport Global Holdings, une EMP Américaine, filiale du Caliburn International group, a obtenu un contrat de $700 millions de dollars avec le gouvernement Fédéral américain, pour assurer la sécurité la base aérienne de Balad, une des bases militaires Américaines abritant des jets F-16 vendus au gouvernement irakien par les États-Unis dans le cadre de la coalition internationale luttant contre l’État Islamique en Iraq et en Syrie (ISIS). La mission de Sallyport était d’entraîner les troupes irakiennes, et d’assurer le bon fonctionnement opérationnel de la base aérienne.

En 2016, deux de ses employés Robert Cole et Kristie King, qui avait été dépêchés par l’entreprise dans la base afin d’enquêter sur tous faits de mauvaises conduites commis par les employés, y avait découvert un réseau de trafic d’être humain, de prostitution et de trafic d’alcools. Un an et plusieurs rapports accablants à la direction de Sallyport après, Robert Cole et Kristie King ont finalement été licenciés et menacés de mort. [57]Desmond Butler, Lori Hinnant « US company turned blind eye to wild behavior on Iraq base », AP News, 4 May 2017, … En savoir plus

Ces révélations n’ont pas empêché le DoD américain de signer un second contrat de $240 millions de dollars en 2021 pour la gestion de la sécurité de la base aérienne[58]John Lee, « Sallyport wins $240m Iraq Contract », Iraq Business News, 3 May 2021, … En savoir plus.

Dyck Advisory Group

Amnesty International a révélé que Dyck Advisory Group, une EMP Sud-africaine, avait fait feu sur des populations civiles à multiples reprises. L’EMP a un contrat avec le gouvernement du Mozambique pour combattre le groupe armé terroriste Al-Shabaab via l’utilisation d’Hélicoptères de combat[59] « « What i saw is death », War crimes in mozambique’s forgotten cape », Amnesty International, 2021, p5, https://www.justice.gov/eoir/page/file/1373181/download .

G4S

G4S, une EMSP Britannique basée aux États-Unis est tristement connue pour divers scandales de violations des droits de l’Homme et exactions en tout genre.

USA Today ainsi que plusieurs organisations de la société civile ont toutes documenté de manière très étayée les méfaits qui leur incombent, dont le recours à la torture, en Afrique du Sud et en Palestine ; la complicité de maltraitance d’enfants palestiniens au sein de prisons israéliennes ; et des violations des droits de l’être Humain dans un camp de détention de demandeurs d’asile en Papouasie-Nouvelle-Guinée (violences physiques, sexuelles et menaces de mort).

Une plainte qui avait été déposée auprès de l’OCDE par l’ONG Raid, a été classée sans suite pour des raisons troubles [60]Brett Murphy, Nick Penzenstadler, Gina Barton, « The Pulse nightclub shooting and other G4S scandals », USA Today, Milwaukee Journal Sentinel, 31 octobre 2019 … En savoir plus.

Par ailleurs, d’innombrables scandales mettant en lumière les pratiques des ressources humaines ont également été rapportés par la presse. Les RH embauchait d’anciens soldats avec des troubles post-traumatiques importants ou au passé criminel violent.

L’exemple le plus marquant, est la fusillade du Pulse, une boite de nuit d’Orlando (États-Unis) en 2016. Omar Mateem, un employé de G4S au moment des faits, avait tué 49 personnes et blessé 53 autres civiles dans une fusillade. Mattem avait pourtant passé tous les « background checks » avec succès et avait été employé par G4S en tant que personnel de sécurité (avec port d’arme)[61]Brett Murphy, Nick Penzenstadler, Gina Barton, « The Pulse nightclub shooting and other G4S scandals », USA Today, Milwaukee Journal Sentinel, 31 octobre 2019 … En savoir plus.

Plus récemment, en décembre 2020, dans une conférence de presse à Téhéran, le procureur iranien, Ali Alqasimehr affirmait, sans en apporter les preuves, que le G4S était impliqué dans le bombardement américain qui avait tué le Général Qassem Soleimani le 3 janvier 2020.

Selon le procureur, le groupe G4S aurait donné les renseignements ayant permis l’assassinat. Cet événement dont l’ordre avait été directement donné par l’ancien Président américain Donald Trump, avait menacé de générer une guerre ouverte entre l’Iran, les États-Unis et leurs alliés. [62]Maziar Motamedi, « Iran implicates UK firm, US base in Germany in Soleimani killing », Al Jazeera, 31 décembre 2020, … En savoir plus.

BlackWater, (Academi, Xe services LLC)

Black Water (aujourd’hui Xe Services LLC), est une EMP Américaine dont les employés ont participé à torturer des prisonniers Irakiens à la prison d’Abu Grahib. En août 2009, l’hebdomadaire Allemand Der Spiegel avait notamment révélé comment durant les années George W Bush Jr., la CIA, avait fait sous-traiter à Blackwater la déportation et l’exécution de prisonniers de Guantanamo en toute illégalité. [63]Ruta Nimkar, Yale University, (2010, p 10) ; « DynCorp lawsuit (re Colombia & Ecuador) », Business & Human Rights Resource Centre, 11 Septembre 2001 … En savoir plus.

L’absence de régulations internationales des EMSP facilite leurs impunités.

La liste des violations des droits de l’être Humain et du droit international commises par l’industrie des EMSP est encore longue et a déjà consacré beaucoup d’encre. Depuis le début de leurs activités en 1990, il n’existe aucun de cas de condamnation pour crimes de guerre ou crimes contre l’humanité incriminant une EMSP. En revanche, les entreprises n’hésitent pas à recourir au licenciement, pour faire endosser l’entière responsabilité juridique à ses employés lors de scandales.  

Par ailleurs, après l’affaire Blackwater, l’entreprise a tout bonnement changé de raison sociale pour s’appeler aujourd’hui, Xe Services LLC. Cette stratégie lui permet de se refaire une « réputation », chose essentielle pour les EMSP qui cherchent constamment à gagner des contrats publics et/ou privés. En revanche, les entreprises et les hauts cadres qui ont facilité ces scandales n’ont jamais été inquiétés par la justice, et leurs activités n’ont pas non plus été mises à l’arrêt.

Les faits de torture, d’exécutions sommaires et autres violations du droit international et des droits de l’être Humain commises par les EMSP étasuniennes dont Blackwater et Halliburton-KBR en Iraq, largement documentés, avaient indignés l’opinion public occidental.

À l’initiative du Comité International de la Croix-Rouge (CICR) et du gouvernement suisse, en le 17 septembre 2008, les Documents de Montreux, approuvés par dix-sept États dont la France, la Chine, le Royaume-Uni et les US, ont été signés. Il s’agit d’une des premières tentatives de réguler les EMSP. [64]Département fédéral des affaires étrangères Suisse, Comité international de la Croix Rouge, « Le Document de Montreux : sur les obligations juridiques pertinentes et les bonnes pratiques … En savoir plus.

Néanmoins, les documents de Montreux n’ont aucune valeur juridique, les EMSP et les Etats signataires n’ont donc aucunes obligations de se plier aux normes et bonnes pratiques définies par les documents. De plus, seulement dix-sept États l’ont approuvé quand l’ONU en reconnaît aujourd’hui 195. Par ailleurs, les documents de Montreux ne permettent pas de réguler les activités des EMSP puisqu’ils engagent les responsabilités des États signataires et non des businesses. [65] Ruta Nimkar, (2010)

D’autres mécanismes non-juridiques tels que le Code de conduite international des entreprises de sécurité privées et les Points de contact national pour les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales, ont en théorie le potentiel de rendre les EMSP juridiquement responsable, et de rendre justice aux victimes civiles, aussi bien à l’international qu’aux niveaux nationaux. Pourtant, Stuart Wallace (2017, 71 et 113) démontre que dans les faits, elles ne le permettent pas.

Les EMSP Russe comme occidentales, ne sont donc tout bonnement pas régulés par le droit international et bénéficient d’une impunité criante et systémique au détriment des victimes civiles et des familles[66]Stuart Wallace, « Private security companies and Human Rights : Are non-judicial remedies effective ? », International Law Journal, vol.35 :69, 2017, pp.71 et 113 ; Ulrich Petersohn, Reframing … En savoir plus.

En outre, les EMSP à travers le monde ont toutes des liens étroits avec l’État dans lequel elles sont domiciliées, puisque les hauts cadres et les employés, sont généralement issu des forces spéciales de leurs pays respectifs. Il y a donc inévitablement des relations étroites entre cette industrie et les secteurs de la défense de chaque puissance qui y ont recours de manière rationnelle. Ainsi, les différences entre les EMSP russes et celles du reste du monde décrites par la littérature sont à relativiser.

Si les violations des droits de l’être Humain ainsi que les crimes de guerre incriminant l’industrie internationale des EMSP sont accablants, ceux commis par les forces armées gouvernementales sont tout aussi inquiétants. La France, qui dans le dossier malien joue la carte de la défense des droits de l’Homme n’en est pas exempte, bien au contraire.

Par exemple, le 3 janvier 2021, l’État-major français avait autorisé un bombardement à Bounti, une localité du centre du Mali, dans le cadre de l’opération Barkhane qui avait coûté la vie à 19 civils.

L’État-major et la Ministre des armées, Florence Parly, ont nié avoir tué des civils, se félicitaient d’avoir tué des terroristes et ont qualifié les informations allant dans le sens contraire comme étant de la désinformation. Pourtant, une enquête accablante de l’ONU a bien confirmé que le bombardement avait été effectué sur des civils participant à un mariage [67]Jacques Pezet, « La France a-t-elle reconnu avoir tué des civils dans le bombardement de Bounti au Mali le 3 janvier ? », Libération, 13 juin 2021, … En savoir plus. Justice ne sera probablement jamais rendue aux familles des victimes et aux rescapés.

Samedi 8 juin 2019, trois civils, dont un mineur avait également été tué par l’armée française dans des circonstances troubles dans la région Ouest de Tombouktou [68]Etat major des armées, France, « Communiqué de l’État-major des armées », Ministère des Armées, 12 juin 2019 … En savoir plus.

En 2019, Disclose a révélé un rapport classé « confidentiel défense » montrant que des armes conventionnelles françaises, étaient utilisées dans la commission de crimes de guerre et de violations des droits de l’Homme par l’Arabie Saoudite et des Émirats Arabes Unis (EAU) au Yémen. Ces révélations ont notamment montré que le président Emmanuel Macron, et la ministre des armées, Florence Parly étaient au courant depuis déjà plusieurs années.

En dépit de cela, la France continue ses exportations d’armes vers les deux pays, et nie encore aujourd’hui, quelconques responsabilités dans la crise yéménite. Pire encore, les journalistes à l’origine de ces révélations sont depuis lors, harcelés par la justice française pour s’être procuré ces dossiers classés « confidentiel défense » [69]Audrey Kucinskas, Convocations : les journalistes sont-ils vraiment des justiciables comme les autres ?, L’Express, 23 mai 2019, … En savoir plus.

Un autre exemple et non des moindre concerne d’autres pays du Sahel. Plusieurs manifestations avaient bloqué un convoi logistique de l’opération Barkhane à Kaya (Burkina) puis au Niger en novembre 2021. Selon l’État-major français, lors de ces manifestations, les militaires de la force Barkhane avaient eu recours à des tirs de semonce face à des manifestants « violents ».

Cependant, les témoignages et les vidéos des incidents montrent des manifestants non armés. De plus, l’on recense plusieurs blessés par balle à Kaya, et trois morts, (dont un mineur), et plusieurs blessés par balles au Niger. La France a encore une fois nié toute responsabilité [70]Karim N’diaye, Blocus anti présence militaire Française au Sahel: Le cas du Burkina, Affaires Africaines, 29 novembre 2021, … En savoir plus.

Ainsi, comme suggéré par le communiqué de la 4ème session extraordinaire de la conférence des chefs d’État sur la situation au Mali du 9 janvier 2022, et les débats houleux au conseil de sécurité de l’ONU, l’intervention de l’EMP Wagner est l’un des enjeux des sanctions de la CEDEAO.

En revanche, contrairement aux arguments avancés par les Etats membres de la CEDEAO appuyés par la France, les sanctions ne sont pas associées aux exactions dont Wagner pourrait potentiellement se rendre coupable au Mali comme vu plus haut. Si l’intérêt pour la France d’empêcher l’implication de la Russie dans son « pré-carré » est évident, les intérêts défendus par les chefs d’Etats de la CEDEAO le sont moins.

En effet, après 9 ans de présence militaire étrangère dans la région, la menace terroriste n’a fait que s’étendre du Mali aux pays frontaliers, dont le Burkina Faso, le Niger et la Côte d’Ivoire. Il y a donc un manque clair d’efficacité dans la lutte anti-terroriste au Sahel et la nécessité d’opérer des changements.

Dans les relations internationales, la sécurité nationale, est pourtant une priorité des Etats qui veillent à la garantir. Ainsi, en théorie, les chefs d’Etats de la CEDEAO devraient coopérer activement avec les autorités de transition du Mali et quelconques partenaires prêts à lutter efficacement contre les groupes armés terroristes dans la région.

Pourtant, la CEDEAO a fait le choix paradoxal d’imposer des sanctions économiques à l’encontre du Mali qui pourraient potentiellement déstabiliser davantage la région tout entière. En effet, au fil des semaines, les denrées alimentaires et les réserves d’énergie vont se raréfier, poussant ainsi les groupes armés présent au Mali à intensifier leurs attaques à l’encontre de postes de sécurités, des agglomérations, des zones rurales et des pays frontaliers (Burkina Faso, Niger, Guinée, Sénégal, Mauritanie, Côte d’Ivoire). Cette intensification mènera également à la hausse fulgurante du nombre de réfugiés.

Les sanctions risquent donc d’étendre la crise sécuritaire et humanitaire aux Etats encore relativement épargnés de la région. Mais alors, pourquoi la CEDEAO entreprend-elle des politiques qui pourraient potentiellement aller contre la sécurité nationale de ses Etats membres ? La section suivante montre comment les politiques de la CEDEAO émanent de Paris.

3. Comment la France contrôle les politiques des États membres de la CEDEAO ?

3.1. Un contrôle économique au travers du très controversé franc cfa.

La littérature a abondement démontré le fait que les membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, « achetaient » les votes des membres non-permanents au travers de politiques avantageuses de la Banque Mondiale, ou via l’augmentation de l’aide unilatérale au développement à leurs égards [71]Axel Dreher, Jean-Egbert Sturm, James Raymond Vreeland, Development aid and international politics:  WONJAE HWANG, AMANDA G. SANFORD, JUNHAN LEE, Does membership on the UN Security Council influence … En savoir plus.

Ainsi, une forte augmentation d’une aide unilatérale au développement, une politique avantageuse du Fond Monétaire International (FMI) ou de la Banque Mondiale seront constatées envers un État s’il exerce un mandat en tant que membre non-permanent au conseil de sécurité de l’ONU, et ce pendant toute la durée de son mandat.

Dans le même temps, l’on observera un alignement de tous les votes de l’État « corrompu » aux résolutions proposées ou rejetées par l’État « corrupteur ». À l’issue de ce mandat, l’on constate systématiquement une baisse significative de ces « avantages » perçus par le membre non-permanent [72]Ilyana Kuziemko, Eric Werker, How much is a seat on the security council worth ? Foreign aid and Bribery at the United Nations, Job Market paper, 2004, … En savoir plus.

Le cas de la politique française en Afrique ne déroge pas à la règle, mais est unique en son genre. Fanny Pigeaud et Ndongo Samba Sylla (2018) ont montré comment la France contrôle les politiques des États d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique Centrale au travers du franc cfa.

Plusieurs liasses de billets de 10 000 francs cfa - Trésor publique français
Plusieurs liasses de billets de 10 000 francs cfa – Trésor publique français

Selon Fanny Pigeaud et Ndongo Samba Sylla (2018, 38-42), le franc cfa et comorien, une devise utilisée par quatorze États africains et divisée en trois zones monétaires, est une monnaie dont la production des billets et des pièces est faite en France. Quatre principes régissent la zone monétaire [73] Fanny Pigeaud, Ndongo Samba Sylla, L’arme invisible de la Françafrique : Une histoire du franc cfa, La découverte, Paris, 2018, pp :38-42 :

1 – La fixité des parités : la monnaie est « ancrée » à l’euro de manière fixe et ne varie pas même en cas de conjonctures. Ainsi, depuis 1999, 1 euro est égal à 655,957 francs cfa et à 491,96 francs comoriens. La valeur du franc cfa ne peut être dévaluée qu’avec l’approbation de la France qui siège aux instances décisionnelles des banques centrales de la zone et possède un droit de veto.

2 – Le libre transfert: Les transactions courantes et les mouvements de capitaux ne sont pas soumis aux restrictions en matière de taux de change. Selon les auteurs, cela permet aux multinationales françaises implantées dans la région de rapatrier la totalité de leurs profits en France sans frais.

3 – La convertibilité illimitée: L’on peut échanger les francs cfa et comoriens contre des euros sans restriction. Cette convertibilité est « assurée » par le Trésor publique français. Il prête autant de devises extérieures qu’il le faut aux banques centrales de la zone. Cependant, le franc cfa n’est convertible qu’en euro et dans aucune autre devise.  

4 – La centralisation des réserves de change: La BEAC, la BCEAO et la BCC doivent déposer 50 % des réserves en devises étrangères auprès du Trésor publique français. C’est la contrepartie de la garantie de convertibilité illimitée prévue par le troisième principe. Ce principe est mis en pratique au travers du compte des opérations du Trésor Publique français. C’est dans ce compte que 50 % des réserves de devises étrangères des banques centrales de la zone sont déposé et que les opérations de change vers l’euro sont opéré.

Autrement dit, sans le compte des opérations du Trésor Publique français, il est impossible pour les États de la zone d’importer, d’exporter ou de faire quelconque transfert de fonds. De plus, ce compte est soumis, comme les comptes courants, à des intérêts. En effet, les auteurs expliquent que lorsqu’un État effectue une commande à l’étranger, le compte des opérations sera débiteur de la même valeur monétaire.

Par exemple, si l’État Béninois commande pour €100 millions d’euros de masques chirurgicaux à la Chine, le compte des opérations sera débiteur de la même valeur (- €100 millions). Il reviendra alors à la BCEAO de déposer cette somme dans le compte des opérations. Un retard de paiement engendrera, comme pour un compte courant, des frais bancaires.

En revanche, si le compte des opérations est créditeur, à un certain niveau, un « nivellement » est opéré et, le trésor français, déplace les avoirs vers un « compte épargne » et verse des intérêts aux Banques centrales de la zone.

Dans l’éventualité où la BCEAO ne peut pas rembourser la somme, le Trésor Publique français lui octroie un prêt. Cependant, le montant « prêtées » et soumis à un taux d’intérêt, provient des fonds déposés au préalable par les banques centrales de la région.

Ainsi, tout l’argent des exportations, des importations, des emprunts, des aides au développement, des envois d’argent par western union et des investissements étrangers, passe par ce compte des opérations.

Par ailleurs, des représentants français siègent dans chaque instance décisionnelle des deux zones et possèdent un droit de veto. Ce faisant, la France peut exercer un pouvoir extrêmement invasif sur les économies et les politiques des États de la zone franc, et donc de ses organisations régionales, comme la CEDEAO. Ce contrôle lui permet de paralyser l’économie d’États entiers, plaçant une épée Damoclès au-dessus de chaque nouveau chef d’Etat.

L’exemple de la guerre civile ivoirienne (2010-2011)

Pour illustrer comment cela se manifeste en pratique, Fanny Pigeaud et Ndongo Samba Sylla (2018), ont montrés comment la France a pu utiliser la CEDEAO et la BCEAO pour faciliter le changement de régime en Côte d’Ivoire au moment de la guerre civile sur fond de crise électorale (28 novembre 2010 – 4 mai 2011). [74] Fanny Pigeaud, Ndongo Samba Sylla, L’arme invisible de la Françafrique : Une histoire du franc cfa, La découverte, Paris, 2018, pp :150-156

À l’issue du second tour des élections présidentielles ivoiriennes de 2010 opposant Alassane Ouattara au président sortant, Laurent Gbagbo, les deux candidats estimaient tout deux avoir gagnés, ce qui a mené le pays a sa seconde guerre civile. La commission électorale qui avait dans un premier temps déclaré Alassane Ouattara vainqueur, finira par se rétracter après un recomptage des voies et déclarait le président sortant vainqueur.

Au travers du conseil de sécurité de l’ONU dont elle est membre permanent, la France avait fait d’Alassane Ouattara, le Président reconnu par la communauté internationale et demandait à Laurent Gbabgo de quitter le pouvoir au nom de la démocratie, de la stabilité et de la paix.

Durant la guerre civile, la CEDEAO imposa des sanctions à l’encontre du régime en place. Ainsi, les frontières, les agences ivoiriennes de la BCEAO furent fermées, et la banque centrale empêchait à l’État ivoirien d’avoir accès à ses ressources. Paris avait forcé le gouverneur de la BCEAO, Henri-Philippe Dacoury Tabley, d’origine ivoirienne, à démissionner, car jugé trop complaisant avec le gouvernement Gbagbo.

Les banques commerciales françaises et étrangères en Côte d’Ivoire avaient été contraintes de cesser leurs activités sous l’impulsion du ministre de l’Économie, des finances et de l’industrie français de l’époque, Christine Lagarde.

La France utilisa également le Compte des Opérations, afin de suspendre toutes les opérations de change de la Côte d’Ivoire, empêchant ainsi les entreprises publics et privés ivoiriennes d’exporter ou d’importer des biens et services. 

À terme, cette situation avait poussé l’État à envisager de sortir de la zone-franc et à produire sa propre monnaie. C’est à ce moment que l’armée française a bombardé le palais présidentiel et a aidé les troupes soutenant Alassane Ouattara à capturer Laurent Gbagbo, mettant ainsi fin à la guerre civile. Laurent Gbagbo sera ensuite détenu par les autorités de la cour de justice internationale de la Haye, jugé pour des faits de crimes contre l’humanité, pour finalement être acquitté en 2019[75]Fanny Pigeaud, Ndongo Samba Sylla, L’arme invisible de la Françafrique : Une histoire du franc cfa, La découverte, Paris, 2018, pp :156 ; « La Chambre d’appel de la CPI confirme la … En savoir plus.

Selon Karim N’diaye (2019) les autorités françaises ont renversé le régime Gbagbo pour deux raisons. La première fut que Gbagbo était l’opposant historique d’Houphouet Boigny, le premier président de Côte d’Ivoire, et l’un des théoriciens de la françafrique. La seconde, est le fait que la France n’ait pas pu influer sur les élections de 2000 ayant permis à Gbagbo d’être élu et qu’il était considéré comme un électron libre qui n’hésiterait pas à diversifier ses partenaires économiques. L’héritier de l’idéologie d’Houphouet Boigny, Alassane Ouattara était donc le choix idéal pour la France et le contexte de la guerre civile a donné l’opportunité d’effectuer le remplacement souhaité[76]Karim N’diaye, « The effects of French foreign aid on the democratic practices of the Congo Brazzaville and Côte d’Ivoire. (1990-2016) », National Chengchi University, 2019, M.A. thesis, … En savoir plus.

Ainsi, au travers de cet exemple, Fanny Pigeaud et Ndongo Samba Sylla (2018) ont montré comment la France utilise le franc cfa pour contrôler les États de la région. Selon eux, le franc cfa est :

« la clé de voute de la Françafrique, l’arme par laquelle elle se perpétue économiquement et politiquement et qui lui permet de maintenir les pays africains dans une relation de dépendance et leurs dirigeants dans une position de « sujets », d’obligés de la France »[77] Fanny Pigeaud, Ndongo Samba Sylla, L’arme invisible de la Françafrique : Une histoire du franc cfa, La découverte, Paris, 2018, p.156 .

En outre, le contrôle du franc cfa permet à la France de bénéficier d’un appui de taille dans les organisations internationales tel que le Conseil de Sécurité et l’Assemblée Générale de l’ONU, puisque quatorze États peuvent appuyer ses politiques au travers de leurs votes.

Le franc cfa génère une menace permanente planant sur les chefs d’Etats qui, selon Kako Nubukpo (2007), finissent en grande majorité par jouer le jeu. [78]Kako Nubukpo, Politique monétaire et servitude volontaire. La gestion du franc CFA par la BCEAO, Politique africaines, n°105, 2007, p.70-84 ; Dans Fanny Pigeaud et Ndongo Samba Sylla, (2018), … En savoir plus. L’histoire a montré que ne pas se conformer aux attentes de Paris, ou vouloir sortir du système monétaire peut mener à des représailles.

L’assassinat des chefs d’États du Burkinabé, Thomas Sankara, et Congolais (RDC), Patrice Lumumba, avec la complicité de personnalités politiques locales, sont les exemples les plus emblématiques[79]KUKLICK, BRUCE. Killing Lumumba. Proceedings of the American Philosophical Society 158, no. 2 (2014) : 144–52, http://www.jstor.org/stable/24640202 ; Wilkins, Michael. The Death of Thomas Sankara … En savoir plus.

Ce système permet à la France de donner l’impression de ne pas être impliquée dans les décisions politiques des États de la région. Ainsi, elle apparaît comme une puissance intermédiaire apportant un appui politique et diplomatique aux Etats de la région, ce qui crée une certaine illusion de non-ingérence et de légitimité.

C’est ce qui explique le fait que les sanctions à l’encontre du Mali aient émané de la CEDEAO, ou encore que le conseil de sécurité de l’ONU se soit réuni à la demande des A3 (Gabon, Niger, Kenya) afin de discuter d’un éventuel appui des sanctions de la CEDEAO.

Ainsi, les sanctions de la CEDEAO n’ont pas le but de restaurer la démocratie et la stabilité politique au Mali comme suggéré plus haut, mais bien de mettre en place un gouvernement « vassale » aux intérêts français pour mettre fin à l’influence russe dans la région, maintenir l’opération Barkhane, et préserver le « pré-carré » français.

Il convient également de montrer que si le franc cfa est la clé de voûte de la françafrique, des outils secondaires permettent de maintenir l’influence française. Karim N’diaye (2019) avait démontré au travers des cas du Congo Brazzaville et de la Côte d’Ivoire, que la France, utilise l’aide unilatérale au développement pour maintenir au pouvoir les élites politiques dociles à ses intérêts, et participe à écarter du pouvoir tout présidents faisant le contraire, notamment, lors des élections. Cette politique a pour conséquence d’accroître les risques de guerres civiles ou alternativement, les risques de prolongement de régimes autoritaires [80]Karim N’diaye, « The effects of French foreign aid on the democratic practices of the Congo Brazzaville and Côte d’Ivoire. (1990-2016) », National Chengchi University, 2019, M.A. thesis, … En savoir plus

Les accords de défense font également partie de ces outils annexes. Ils viennent apporter une base juridique derrière la présence militaire française dans la région qui pourra ainsi assurer la protection de ses intérêts « vitaux ». Comme vu plus haut, il s’agit de maintenir les États dans la zone-franc pour permettre aux multinationales françaises de continuer d’écouler leurs biens et services dans la région et de rapatrier la totalité de leurs profits sans taxes, ni frais, et d’avoir accès aux ressources naturelles à moindre coût.

Cette présence militaire, facilitée par des accords de défense, permet également à Orano (Aréva), une multinationale majoritairement possédée par l’Etat français, de continuer à exploiter l’uranium nigérien sans interruption.

En effet, en 2018, l’uranium nigérien alimentait 30 % de la production d’électricité civile et 100 % des besoins militaires français. Le Niger, voisin du Mali, est l’un des dix premiers producteurs d’uranium au monde, les mines d’Arlit et d’Imouraren, situées à quelques centaines de kilomètres de la zone frontalière avec le Mali, et exploités par le groupe Orano, sont clairement des enjeux de la présence française au Sahel.

Dès 2013, avant l’opération Serval, le commandement français des opérations spéciales, sous l’impulsion du ministre de la Défense de l’époque, Jean-Yves le Drian, avait envoyé des commandos des forces spéciales pour protéger ses sites miniers nigériens. [81]Fanny Pigeaud, Ndongo Samba Sylla , (2018), p.144 ; Jeanny Lorgeous, Jean Marie Bockel, L’Afrique est notre avenir, rapport d’information n°104, 29 octobre, 2013, p.237 ; … En savoir plus.

Les accords de défense permettent ainsi à la France de placer des contingents et des bases militaires dans les zones qu’elle considère comme stratégique. Il est donc intéressant d’analyser les accords de défense liant la France au Mali dans le cadre des opérations Serval et Barkhane[82]David Rich, France-Mali : les accords de défense dans le collimateur de la junte, France 24, 17 janvier 2022, … En savoir plus.

3.2. Les accords de défense Mali – France (1985 – 2021) et le bilan de l’opération Barkhane.

Depuis les indépendances, plusieurs traités et accords de défense ont été signés entre la France et les pays de la région. Ainsi, le 6 mai 1985, des accords de coopération militaire technique entre la France et le Mali avaient été signés. [83]Assemblée Nationale, Décret n°90-1075 du 28 novembre 1990 portant publication de l’accord de coopération militaire technique entre le Gouvernement de la République française et le … En savoir plus

D’après l’article 2 (d), les militaires français ne pouvaient en aucun cas participer aux préparations et à l’exécution d’opérations de guerre ou de rétablissement de l’ordre ou de la légalité. En dehors de cela, ils intégraient les Forces armés maliennes et étaient placés sous le commandement de militaires malien dans le seul et unique but d’apporter une assistance technique.

L’article 7 (b), prévoyait qu’en cas d’infractions pénales dans le droit malien passible d’une peine d’emprisonnement, les tribunaux maliens faisaient jurisprudence. Dans le cas où il s’agirait, d’autres infractions, les autorités maliennes remettaient les militaires français à l’armée française qui les rapatriaient et se chargerait d’éventuelles sanctions (cour martiale).

L’article 12, Chapitre IV des accords, quant à lui, prévoyait une exclusion de toute possibilité de stationnement d’unités des forces armées françaises sur le territoire malien. Cependant, suite à l’insurrection du Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) et à l’incursion d’Al-Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI) au Nord du pays, le Président malien IBK avait appelé son homologue français à l’assister dans la sécurisation du Mali.

Afin de faciliter cette assistance, des accords de défense par échange de lettres seront signés à Bamako et à Koulouba les 7 et 8 mars 2013. Ces accords se superposeront à ceux signés en 1985[84]Assemblée nationale, Décret n° 2013-364 du 29 avril 2013 portant publication de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le … En savoir plus.

L’article 5, autorise les forces armées françaises à circuler librement sur l’ensemble du territoire malien y compris dans son espace aérien, sans restriction. Les déplacements et transports de l’armée française sont exemptés de redevances, de péages, de taxes ou de droits similaires.

Selon l’article 6, les forces armées françaises étaient autorisées à prendre toute mesure nécessaire afin d’assurer la sécurité des ressortissants français, y compris sur la voie publique. L’article 7, prévoit que toutes les activités, les importations, exportations achat de biens et services de l’armée française sont exemptés de taxes.

Il était également prévu que le déploiement de militaires français sur le territoire malien soit pour « soutenir » les Forces Armés maliennes (Fama), face à l’avancée de groupes armés, et pour assurer la protection des ressortissants français sur l’intégralité du territoire.

Ainsi, ces accords sont problématiques en plusieurs points. Premièrement, les articles 2(d) et 12 des accords de 1985 étant toujours applicables, les militaires de l’opération Serval n’auraient en théorie pas dû participer aux opérations de guerre conformément à l’article 2(d) de l’accord de défense de 1985

Deuxièmement, l’article 5 permet à l’armée française de circuler sur tout le territoire y compris l’espace aérien sans le consentement préalable des autorités maliennes, ni sans être accompagné, et par n’importe quel moyen de transport. Cette provision est problématique à l’égard des provisions de l’article 2 (b) de l’accord de 1985, et à l’égard de la souveraineté nationale des autorités maliennes.

En effet, l’article 5 permet un transfert de souveraineté puisqu’il autorise les forces armées françaises à circuler librement sur l’ensemble du territoire malien y compris dans son espace aérien, sans restriction. Cette provision empêche de fait les autorités maliennes à en faire de même puisque dans le cadre d’opérations militaires, il faut s’assurer de l’absence d’opérations « amies » en cours dans une zone donnée avant de pouvoir intervenir pour éviter tout incident.

L’article 5 expliquerait donc l’observation du Premier ministre malien selon laquelle les Fama ont dû demander l’autorisation à l’armée française pour survoler son propre territoire au moins jusqu’au second coup d’État [85] Yaya Konaté, « Interview du Premier ministre de transition malien, Choguël Kokalla Maïga », ORTM à 49:30 https://www.youtube.com/watch?v=Itr2mpcdB7I .

Troisièmement, aucune provision n’explicite le rôle de la force Serval dans la protection des populations civiles ou encore définissant une durée temporelle claire. Seule la lutte contre les groupes armés terroristes et la protection des ressortissants français sont clairement évoquées comme étant des objectifs. Néanmoins, les méthodes permettant d’atteindre ces objectifs ne sont pas non plus évoquées tout du long.

Par ailleurs, l’article 9, prévoit que le Mali prend à sa charge la réparation des dommages causés aux biens et aux personnes tiers lors de l’intervention française, y compris lorsque ces dommages « collatéraux » ont été causés partiellement par les militaires français. Le Mali doit également prendre l’entière responsabilité dans le cas où des actions juridiques seraient intentées dû aux dommages causés par l’armée française.

Enfin, dès réception d’une réponse écrite, l’accord est entré en vigueur. Il est intéressant de constater que malgré le caractère déséquilibré et contraignant des accords pour les autorités maliennes, celles-ci aient malgré tout apporté une réponse écrite favorable, sans proposer la moindre modification, ni sans soulever des préoccupations quant à la souveraineté nationale du Mali. Les provisions proposées ont tout bonnement été copié-collé et acceptées par les autorités maliennes de l’époque.

Ayant repoussé l’offensive des groupes armés vers la zone frontalière avec le Niger et le Burkina Faso, l’opération Serval qui a été décrite par les autorités françaises comme un « succès », n’a pas dans les faits, permis d’apporter une sécurité durable au Mali. Elle n’a fait qu’éparpiller la menace dans les pays voisins, au Niger et au Burkina Faso.

Par ailleurs, la sécurité au Mali n’a pas du tout été permise puisqu’un an après le début de l’opération Serval, le président IBK a renouvelé sa volonté de coopérer avec la France en matière de défense et cette fois de manière « durable ». À la suite de cette demande, le Traité de coopération en matière de défense entre les deux États a été signé à Bamako le 16 juillet 2014[86]Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, « Projet de loi autorisant la ratification du traité de coopération en matière de défense entre la République … En savoir plus.

L’article 2 du Traité définissant les objectifs de la coopération de défense, prévoit que les parties signataires s’engagent à coopérer afin de garantir la paix, une sécurité durable et de lutter contre le terrorisme sur leurs territoires. Les espaces frontaliers et les espaces régionaux respectifs des deux États sont également visés par le Traité. Ce document constitue donc la base juridique sur laquelle l’opération Barkhane opère.

L’article 4(1) définit les contours de la coopération bilatérale. Les domaines suivants sont couverts par le Traité :

  1. Echanges de renseignements et d’opinions relatifs aux vulnérabilités, risques et menaces à la sécurité nationale et régionale ;
  2. Organisation, équipement et entraînement des forces, le cas échéant par un soutien logistique pouvant se concrétiser par la cession gratuite ou onéreuse de matériels et équipements militaires, ainsi que l’organisation d’exercices mixtes et conjoints ;
  3. Organisation de transits, de stationnements temporaires, d’escales aériennes ;
  4. Organisation et conseil aux forces par la mise en œuvre d’actions de formation et de soutien technique, et la mise à disposition de coopérants militaires techniques français ;
  5. Formation des membres du personnel malien par leur accueil ou leur admission en qualité d’élève ou de stagiaire dans les écoles de formation militaires françaises ou soutenues par la France ;
  6. Toute autre activité convenue d’un commun accord entre les Parties en fonction de leurs intérêts communs.

Le paragraphe 2 du même article précise que les conditions d’application des domaines et formes de coopérations sont si besoins précisés au travers d’autres accords ou d’arrangements techniques. Par ailleurs, les accords de défense signés à Bamako le 6 mai 1985 et les accords par échanges de lettres associés sont annulés par l’article 25 (1) du Chapitre IV du Traité du 16 juillet 2014. Dans le même temps, le paragraphe (2) du même article prévoit que les accords de défense par échange de lettres des 7 et 8 mars 2013 restes appliqués.

Si les provisions établies par l’article 4 permettent aux forces armées françaises de participer aux activités de guerre contrairement aux accords précédents, notamment au travers de l’alinéa (b), les accords restent problématiques concernant la participation aux activités de guerre sur le territoire malien des forces armées françaises.

En effet, l’article 4.1(b) permet aux forces armées françaises de participer à « l’organisation d’exercices mixtes et conjoints », mais en aucun cas à des exercices de manière autonome. Si l’alinéa (f) peut potentiellement résoudre ce problème, aucune trace écrite n’a été trouvé permettant d’attester du dit « commun accord ».

Pourtant, les différents communiqués officiels, articles de presse et reportages sur le conflit malien, suggèrent très clairement une autonomie militaire française, et ce, sur tout le territoire depuis le début de l’opération Barkhane. De plus, si toutes les activités militaires françaises sont exemptées de taxes, l’article 4 (b) prévoit la cession gratuite ou onéreuse de matériels et équipements militaires français à destination des Fama. Selon le Premier ministre de transition malien, sous la présidence d’IBK, plusieurs ventes d’armes ont été effectuées, toutes concernant des articles de seconde main sur facturés et manquant de fonctionnalités. Ces achats représenteraient 25 à 30 % du budget de la défense[87] Yaya Konaté, « Interview du Premier ministre de transition malien, Choguël Kokalla Maïga », ORTM à 30 :00 https://www.youtube.com/watch?v=Itr2mpcdB7I .

L’article 26 (2) prévoit que le Traité soit conclu pour une durée de 5 ans renouvelable automatiquement pour des périodes de 5 ans, à moins que l’une des parties notifie l’autre son intention de mettre fin aux accords au moins six mois avant l’expiration de la période de 5 ans. Ainsi, l’article 26 (2) pourrait permettre la présence militaire française sur plusieurs décennies. Par ailleurs, aucune provision n’inclut la protection des populations civiles et des institutions maliennes face aux groupes armés terroristes.

Compte-tenu des données présentées ci-dessus, un État ayant pour but principal de protéger ses intérêts nationaux, à savoir son intégrité territoriale, sa souveraineté et sa sécurité nationale, n’aurait pas accepté ces accords et Traités de défenses, cela n’a pas été le cas du Mali. Il est donc possible d’argumenter que la signature de ceux-ci a été facilitée par le contrôle de la France du franc cfa, et par la « docilité » des autorités maliennes présidées par IBK comme vu dans la section précédente.

Ainsi, les autorités de transitions, ayant des positions qu’elles revendiquent comme panafricaine, couplé à leur rapprochement avec la Russie, mettent en péril les accords de défense. Une révision des accords et une éventuelle sortie du franc cfa pourrai mettre en cause la capacité française à maintenir sa présence sur le territoire et à protéger ses intérêts stratégiques au Sahel qu’elle considère comme « vitaux ».

La volonté du gouvernement de transition malien de renégocier les accords semble donc être plus qu’indiqué et pourrait mener à leur dénonciation (annulation en jargon juridique) pure et simple. Les modalités dans lesquelles les différents entre les deux États sont réglées sont définies par l’article 24 du Chapitre IV. Cet article prévoit que :

« Tout différend lié à l’interprétation ou à l’application du présent traité est réglé par voie de consultations au sein du comité de suivi institué par l’article 6 du présent traité ou de négociations par la voie diplomatique entre les Parties. »

L’article 26 (4) ajoute que chaque État signataire peut dénoncer le Traité en notifiant de manière écrite l’autre partie. L’annulation du Traité prendra effet six mois après la réception de la notification.

Les autorités de transition du Mali ont suivi cette procédure de révision de l’accord en matière de défense et du Traité en notifiant les autorités françaises dès décembre 2021. Cependant, selon le Ministre malien des Affaires Étrangères, Abdoulaye Diop, à défaut de réponses, le Mali mettra fin à l’accord et au traité de défense, et exigera le départ des troupes françaises, même si cette option n’est pas encore « sur la table » selon lui[88] « Abdoulaye Diop, chef de la diplomatie du Mali, juge « inacceptables » les déclaration de Paris », France 24, vidéo, 06 :12, https://www.youtube.com/watch?v=2gT2QRFv55E .

Si, le gouvernement de transition malien a récemment annoncé que la fin de la coopération militaire avec la France n’était pas encore envisagée, l’escalade des tensions diplomatiques suggèrent que plus les autorités de transition resteront au pouvoir dans le temps, plus les probabilités que cela se matérialise augmentes.

Enfin, ces accords permettent d’expliquer le manque d’efficacité de l’opération Barkhane en matière de protection des civils et en matière de réduction de la menace terroriste, puisqu’aucune provision n’aborde ces questions.

3.3. Un manque d’efficacité de l’intervention militaire française au Mali à questionner

Selon le rapport d’information déposé par la commission de la défense nationale et des forces armées sur l’opération Barkhane datant d’avril 2021, le bilan de Barkhane seraient « incontestablement positif ». Le rapport fait notamment référence à une période de trois mois dans laquelle « 859 membres de l’EIGS tués, 169 capturés, 34 véhicules détruits et des centaines de motos détruites depuis le Sommet de Pau du lundi 13 janvier 2020 » [89]Assemblée nationale, « Rapport d’information, Commission de la défense nationale et des forces armées en conclusion des travaux d’une mission d’information. Sur l’opération … En savoir plus.

Pour le colonel français Michel Goya, « le seuil de 80 ennemis neutralisés mensuellement a été dépassé, et Barkhane remplit dorénavant pleinement sa mission ».

Si ces données semblent relativement élevées, il est impossible de les vérifier. En effet, le Ministère des Armées rend publique au moyen de communiqués et de Tweets les divers « succès » opérationnels et accomplissements de Barkhane. Néanmoins, ces communiqués ne sont pas publiés de manière régulière et ne détaillent pas de manière claire le nombre de personnes appréhendées et/ou tuées et le nombre d’armes et objets saisis au cours des opérations militaires.

Ce manque de transparence empêche toute comparaison dans le temps afin d’effectuer un bilan objectif de l’opération Barkhane en termes de réduction de la menace terroriste et de l’insécurité.

En revanche, il est possible d’apporter des nuances quant au caractère « indéniablement positif » du bilan. En une décennie de présence de multiples opérations étrangères au Mali dont, Serval (2013 – 2014), Barkhane (2014 à aujourd’hui), MINUSMA (2013 à aujourd’hui) et le G5 Sahel (2014 à aujourd’hui), le nombre d’attaques terroristes a augmenté de 136 % de 2013 à 2019 au Mali. C’est une hausse de près de 3 325 % de 2011 à 2019. L’on est passé de 65 morts en 2013 à 759 en 2019, soit une hausse de 1 067 % du nombre victimes.

Figure 1 : Nombre d’attentats et de morts au Mali (1990 – 2019)

Source : Global Terrorism Database (GTD)

Par ailleurs, si ces chiffres ne tiennent compte que du Mali, ces observations sont comparables dans le reste de la région où la force Barkhane est présente. Par exemple, au Burkina Faso, l’on observe une hausse fulgurante du nombre de morts à partir de 2016, passant de 51 cette année-là, à 602 sur la seule année 2019, soit une hausse de 1080 % en trois ans.

Ces données attestent donc d’un manque absolu de succès en termes de réduction de la menace terroriste et de protection des populations locales, puisque dans les faits, l’on observe une tendance inverse.

Ces constats sont explicables au regard des accords militaires et les traités de défense signés avec le Mali, puisque, comme vu plus haut, la protection des populations civiles ne relève pas de la mission des militaires français. L’accent est mis sur la protection des ressortissants français, et donc par extension, des entreprises françaises implantées dans la région et de l’élimination de la menace terroriste.  

En revanche, cette observation ne peut suffire à expliquer l’intensification du nombre de morts et des attentats au Mali notamment à partir de 2016. Alors qu’AQMI est présent dès 2009, et qu’une amélioration qualitative et quantitative de leurs armements est notable suite à la chute de l’État libyen, leur réelle entrée en action sur le théâtre malien n’intervient qu’en 2013-2014, soit deux à trois ans plus tard.

L’intensification du nombre d’attentats et de morts est associée à l’apparition de l’EIGS en 2015 et à la création de la coalition de groupes armés sous le GSIM/JNIM, mené par AQMI en 2017. Ces deux groupes, créés au cours de l’opération Barkhane, sont responsables d’une grande part des attentats dans la région, dont une partie n’a pas été revendiqué.

Sur la dernière décennie, l’on observe également une multiplication des groupes terroristes actifs au Mali passant de 5 en 2012 à plus de 20 en 2019. L’on observe également une stabilisation du nombre annuel d’attentats, variant entre 140 et 165 attaques par an à partir de 2017.

Figure 2 : Part des attentats commis par groupe terroriste au Mali (1990 – 2019)

Ainsi, l’objectif de réduction de la menace terroriste a été un échec à plusieurs égards, puisque le nombre de groupes terroristes actifs, le nombre d’attentats et de victimes civils annuels se sont multipliés. Il y a donc une corrélation évidente entre la présence de forces militaires étrangères et l’intensification du conflit malien. Comment expliquer ce constat ?

Une hypothèse plausible suggérera que la présence des troupes occidentales a généré une intensification des activités des groupes armés terroristes, hostiles à l’occident de manière générale et à plus forte raison, à la présence de contingents militaires occidentaux sur le territoire. Pour vérifier cette hypothèse, l’on constaterait une hausse significative des attentats envers les bases françaises de 2013 à nos jours.

Or, de 2013 à 2019, les troupes françaises de Serval et Barkhane en ont essuyé seulement 7 et dénombre deux morts et 15 blessés des suites d’attentats. Sur la même période, les soldats de la MINUSMA et les Fama ont respectivement subits 146 et 83 attentats[90] National Consortium for the Study of Terrorism and Responses to Terrorism, « Global Terrorism database (GTD) », University of Maryland, 2021 .

Si en janvier 2022, au total 53 militaires français étaient tombés au cours de l’opération Barkhane, de 2013 à 2019, environ 316 soldats des Fama ont été tués lors d’attentats et 273 autres ont été blessés, les troupes de la MINUSMA ont quant à elles dénombrées 157 pertes et 422 blessés sur la même période. Notez que ces données ne comptent que les victimes d’attentats et ne prend pas en compte les soldats tombés lors d’opérations militaires et d’affrontements [91] National Consortium for the Study of Terrorism and Responses to Terrorism, « Global Terrorism database (GTD) », University of Maryland, 2021 .

Par conséquent, l’hypothèse pouvant expliquer l’intensification des activités terroristes n’est pas vérifiée concernant les forces armées françaises, les civils, les forces armées maliennes et les troupes de la MINUSMA étant les cibles privilégiées des groupes armés [92] National Consortium for the Study of Terrorism and Responses to Terrorism, « Global Terrorism database (GTD) », University of Maryland, 2021 .

Une question émerge alors : comment expliquer que les groupes terroristes aient si peu attaqués les positions militaires françaises sur cette période comparativement aux autres ? Cette question est particulièrement pertinente puisque l’opération Barkhane est décrite comme le meneur des opérations militaires dans la région et que les groupes actifs ont principalement recours aux tactiques de guérillas.

Lors d’une interview accordée au média d’État Russe RIA Novosti en début octobre 2021, Choguël Kokalla Maïga, a accusé la France d’entraîner les groupes armés terroristes actifs au Mali. Le Premier ministre a affirmé avoir les preuves que « La France a créé une enclave au Mali, elle a formé et entraîné une organisation terroriste à Kidal (nord) » et qu’elle serait impliquée dans la formation d’un nouveau groupe lié à Ansar Dine[93] Un des principaux groupes sévissant au Mali sous la coalition du GSIM

Le Premier ministre continue en accusant la France d’avoir empêché les troupes maliennes de s’approcher de la zone depuis le début de sa présence dans la région [94]Lassaad Ben Ahmed, « Mali : Choguel Maiga accuse la France d’avoir formé et entraîné une organisation terroriste à Kidal », Anadolu Agency, 10 octobre, 2021, … En savoir plus. Était-ce un coup de com’ pour attiser les sentiments anti-présence militaires français dans la région, ou est-ce que ces allégations sont plausibles ?

Les données présentées dans cet article ne permettent pas à ce stade de répondre dans l’affirmative. Néanmoins, elles ne contredisent pas non plus ces accusations. Par ailleurs, la littérature a abondement débattu sur les effets de l’instrumentalisation et le soutien des États apporté aux milices et aux groupes armés terroristes.

L’on sait aujourd’hui par exemple, que le soutien d’États (support financier, matériel et logistique, en entraînement, en renseignement et/ou en armes) est l’un des facteurs permettant la longévité des groupes armés terroristes[95]Plusieurs faits ont également été largement documentés, tel le soutien des Etats-Unis aux milices Nicaraguayennes durant la guerre froide ou le soutiens en armes de l’Arabie Saoudite aux … En savoir plus.

En revanche, hormis le scandale impliquant la multinationale Lafarge dans le financement de Daech en Syrie, aucune donnée n’a jusqu’ici permis d’établir un soutien de l’État français à des groupes terroristes dans le monde[96]Herman, Edward S. “U.S. Sponsorship of International Terrorism: An Overview.” Crime and Social Justice, no. 27/28 (1987): 1–31. http://www.jstor.org/stable/29766326 ; Matthieu Suc, Fabrice … En savoir plus

Si libération a révélé que la DGSE était au courant des compromissions de Lafarge en Syrie dès 2014 et n’a pourtant pas agit, aucune donnée disponible ne peut à ce jour attester de la véracité des accusations du Premier ministre malien[97]Ismaël Halissat, Affaire Lafarge : une note prouve que l’Etat était informé des versements d’argent à Daech, Libération, 13 juillet 2021, … En savoir plus.

Par conséquent, si le manque de données ne permet pas d’apporter des conclusions définitives quant à la corrélation entre l’opération Barkhane et l’intensification du conflit, la corrélation reste néanmoins factuelle.

=>> A lire : Blocus anti présence militaire Française au Sahel : Le cas du Burkina

Enfin, malgré une hausse significative des manifestations anti-présence militaire française dans tout le Sahel depuis novembre 2021, et un sommet atteint dans la détérioration des relations avec le Mali, le refus de mettre fin à l’opération Barkhane et l’ingérence dans la politique malienne alimente les spéculations.

 4. Conclusions

Il est important de comprendre que dans les relations internationales, les États, et en particulier les puissances, sont des acteurs hautement rationnels. Ils cherchent constamment à étendre leurs influences, à maximiser leurs gains et à satisfaire leurs intérêts. Ne dérogeant pas à la règle, la France à menée une politique africaine lui permettant d’exercer un contrôle dans tous les domaines de la vie politique des États africains. Ce contrôle lui à en retour permis d’acquérir la bombe nucléaire, de se positionner en tant que 5ème puissance mondiale, et d’être un acteur important des relations internationales.

Ainsi, dans l’optique de se conformer à cette règle fondamentale des relations internationales, le gouvernement de transition malien prend des décisions allant dans le sens de ses intérêts nationaux et de sa souveraineté. Des intérêts qui sont antonymes à ceux défendu par la France. L’incapacité pour la France d’exercer un contrôle sur le gouvernement de transition depuis le 24 mai 2021, est donc à l’origine de frustrations pour Paris.

En effet, un succès dans la sécurisation du Mali, sans l’appui de la France, et qui plus est, avec l’ennemi de l’OTAN (la Russie), pourrai être à l’origine d’un « printemps arabe à l’Africaine » dans lequel les États chercheront à s’émanciper progressivement du contrôle politique, économique et sécuritaire de Paris.

Tel un virus, cette politique du gouvernement de transition du Mali sera rapidement imitée dans toute la sous-région, et signalera le début de la fin de l’empire français en Afrique, 60 ans après les « indépendances ». Les coups d’État guinéens et burkinabés vont dans le sens de cette observation.

Le retour de la démocratie n’est donc pas la préoccupation de la France dans le cas du Mali, il s’agit bien de changer de régime pour pouvoir maintenir son influence dans la région en empêchant l’apparition de la Russie dans son « pré-carré » et en accélérant la transition. Ainsi, afin d’atteindre cet objectif et pour qu’il soit légitimé, c’est au travers de la CEDEAO que Paris agit.

L’idée derrière les sanctions est de rendre le gouvernement de transition impopulaire suite à la raréfaction et donc à l’inflation galopante des produits de première nécessité. La France espère que ces sanctions, qui pourraient être résolues par la « simple » organisation d’élections, généreront des frustrations populaires qui à terme, mèneront au renversement du gouvernement de transition d’ici quelques semaines.

Cependant, la manifestation du 14 janvier 2022 suggère très clairement une forte popularité du gouvernement de transition. Une popularité qui va au-delà des frontières de par la portée symboliquement panafricaine des positions maliennes. Ainsi, cette tactique a de grandes probabilités de se solder par un échec pour la France, tout dépendra de la capacité du gouvernement malien à trouver des liquidités ainsi de « l’endurance » des populations locales[98] « Les maliens ont manifesté en masse à Bamako et dans les autres grandes villes du pays », RFI, 14 janvier 2022, https://www.rfi.fr/fr/afrique/20220114-t

Deuxièmement, les sanctions économiques à l’encontre du Mali, un pays enclavé et miné par une crise politique sécuritaire et socioéconomique, vont à l’encontre des intérêts sécuritaires des États membres et de la région dans son ensemble.

En effet, au fil des semaines, les denrées alimentaires et les réserves d’énergie vont se raréfier, poussant ainsi les groupes armés présent au Mali à intensifier leurs attaques à l’encontre de postes de sécurités, des agglomérations, des zones rurales et des pays frontaliers jusque-là épargnés (Guinée, Sénégal, Mauritanie, Côte d’Ivoire).

Les sanctions risquent donc d’étendre davantage la crise sécuritaire et humanitaire au reste de la région. Il aurait été dans l’intérêt des chefs d’Etat de la CEDEAO dans un premier temps, de privilégier la sécurisation du Mali, d’apporter une contribution aux efforts de guerre et de mettre la transition politique au second plan une fois le premier objectif atteint.

En effet, organiser des élections ne peut pas être la priorité dans un pays ou plusieurs candidats aux dernières élections législatives ont été kidnappés par des groupes armés, et où les facteurs menant aux coups d’États sont toujours très présents (hauts niveaux d’inégalités socioéconomiques, corruption, insécurité).

En effet, organiser des élections ne peut pas être la priorité dans un pays ou plusieurs candidats aux dernières élections législatives ont été kidnappés par des groupes armés, et où les facteurs menant aux coups d’États sont toujours très présents (hauts niveaux d’inégalités socioéconomiques, corruption, insécurité).

Néanmoins, malgré les probables conséquences néfastes des sanctions sur la sécurité régionale, les chefs d’Etats de la région ont tout de même acceptés de jouer le jeu proposé par Paris.

L’échec de l’opération Barkhane, qui au bout de 9 ans d’opération a été accompagnée d’une hausse cataclysmique du nombre d’attentats et du nombre de victimes civiles, suggère qu’il est vital pour les États de la région de trouver des alternatives au nom de leurs sécurités nationales.

Persister à dépendre de l’État français en matière de défense ne permettra pas de trouver des solutions durables aux crises multidimensionnelles dans la région. C’est ce que les autorités de transition du Mali semblent expérimenter en diversifiant leurs partenaires de défense. En revanche, tant que la monnaie nationale est produite en France, aucune solution ne peut aspirer à être durable.

Enfin, la multiplication des rumeurs et des démentis quant à la présence ou non du groupe Wagner au Mali ajoutent à la confusion des observateurs. Nonobstant de cela, la littérature avait montré que les contrats définissant clairement les objectifs et les responsabilités juridique des EMSP en amont des interventions militaires permettaient d’accroître les chances de réussite et de réduire les risques d’exactions [99] Ruta Nimkar (2010) .

NDIAYE Karim Babacar

Diplômé d’un Master II en Relation Internationales de la National Chengchi University, (Taipei, Taiwan), Karim est spécialisé dans l’analyse des transitions démocratiques, des conflits armés et de la sécurité internationale.

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