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Mali : Que cache le soutien de l’Ukraine au terrorisme ?

Résumé: Cet article examine les implications des aveux de l’Ukraine concernant son soutien présumé au terrorisme au Mali, en lien avec la Bataille de Tinzaouatène. Il montre que le CSP-DPA et le JNIM, des Groupes Armés Terroristes et Séparatistes (GAT-S) actifs au Sahel, ont bénéficié de renseignements, d’armes lourdes, et d’un entraînement militaire fournis par des soutiens extérieurs.

Toutefois, l’analyse historique de l’Ukraine, depuis la « révolution de Maïdan », révèle une dépendance profonde de son appareil de défense vis-à-vis de l’OTAN, y compris pour la surveillance satellitaire. Cette subordination suggère que l’Ukraine n’aurait pas pu agir de manière autonome sans le feu vert ou la participation directe de l’OTAN.

L’article propose que la volonté ukrainienne de démontrer son soutien au terrorisme pourrait en réalité faire partie d’une opération psychologique (PSYOP) orchestrée par l’OTAN. Cette stratégie viserait au moins trois objectifs : masquer le soutien de l’OTAN au terrorisme au Sahel, affaiblir le moral des troupes Wagner en Russie pour faciliter une incursion à Koursk, et discréditer les efforts de lutte anti-terroriste au Sahel pour délégitimer les gouvernements de transition en place, et les renverser.

Mots clés : Mali, Guerre du Sahel, Bataille de Tinzaouatène, Andriy Yusov, GUR, Guerre en Ukraine, Volodymyr Zelensky, Vladimir Poutine, Viktor Ianoukovytch, Mali, Niger, Burkina Faso, Russie, Kremlin, Sahel, Alliance des Etats du Sahel, AES, Afrique de l’Ouest, Sénégal, Cedeao, CSP-DPA, JNIM, GSIM, Al-Qaeda, Terrorisme, Washington, Etats-Unis, Paris, France, OTAN, Bamako, Niamey, Ouagadougou, Wagner, Société militaire privée, SMP, Kiev, révolution colorée, révolution de maïdan, Donbass, Crimée, Luhansk, Donetsk

Des dizaines de membres du CSP-DPA (groupe armé séparatiste sévissant au Mali) alignés et posant pour la photo dans le désert du Sahel et devant des drapeaux de "l'Azawad" (noir rouge et vert.
Des combattants du CSP-DPA en juin 2024 au nord du Mali. source:apm-azawad

Acronymes

AEHF Advanced Extremely High Frequency
AES Alliance des Etats du Sahel
AFP Agence France Presse
ALPC Armes Légères et de Petit Calibre
CEDEAO Communauté Economique Des Etats d’Afrique de l’Ouest
CERES Capacité d’Écoute et de Renseignement Électromagnétique Spatiale
CIA Central Intelligence Agency
CSO Composante Spatiale Optique
CSP-DPA Cadre stratégique pour la défense du peuple de l’Azawad
DIRPA Département Interarmées de la Recherche et du Planification
DoD Department of Defense (Département de la Défense Etatsunien)
EEI Engins Explosifs Improvisés
FAMa Forces Armées Maliennes
FM Field Manual (Manuel de terrain)
FPV First-Person View (Drones pilotés en « première personne »)
GAT-S Groupes Armées Terroristes et Séparatistes
GUR Direction générale du renseignement du ministère de la Défense ukrainien
HRW Human Rights Watch
IB Ibrahim Coulibaly
JNIM/GSIM Groupement de soutien à l’Islam et aux Musulmans
MUOS Mobile User Objective System
ONU Organisation des Nations unies
OTAN Organisation du Traité de l’Atlantique nord
PSYOP Psychological Operations (Opérations Psychologiques)
SAR Radar à synthèse d’ouverture
SBIRS Space-Based Infrared System
SMP Société Militaire Privée
UCS Union of Concerned Scientists
UE Union européenne

L’Ukraine admet soutenir le terrorisme au Mali. En quoi est-ce à priori contraire à ses intérêts stratégiques ?

Les aveux scandaleux des renseignements ukrainiens

En déclarant la guerre à l’Alliance des États du Sahel (AES) et en compromettant à priori ses propres intérêts nationaux, la stratégie ukrainienne a-t-elle également révélé un soutien infâme de l’OTAN au terrorisme au Sahel ?

Lundi 29 juillet 2024, le Porte-parole de la Direction générale du renseignement du ministère de la Défense ukrainien (GUR), Andriy Yusov, a déclaré à la télévision nationale : « Les rebelles ont reçu le soutien nécessaire, et pas que des renseignements, qui leur ont permis de mener à bien une opération contre les criminels de guerre russes ». Avant d’ajouter ; « [… ] le GUR n’ajoutera pas de détails à ce stade, mais il y aura d’autres résultats à venir.»[1]Shaun Walker, Ukraine military intelligence claims role in deadly Wagner ambush in Mali, the Guardian, 29 juillet 2024, … En savoir plus

Yusov fait référence à une coalition de Groupes Armés Terroristes et Séparatistes (GAT-S) composée du Groupement de soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM/JNIM), filiale d’Al-Qaeda au Sahel, et du Cadre stratégique pour la défense du peuple de l’Azawad (CSP-DPA), une coalition de groupes séparatistes touaregs.

Ces derniers auraient tué une centaine de soldats des Forces Armées Maliennes (FAMa) et de mercenaires de Wagner lors de la Bataille de Tinzaouatène (localité située à la frontière algérienne à environ 60 km au nord-est d’Abeïbara), du 22 au 27 juillet 2024.

L’opinion africaine a pris connaissance de ces propos après qu’ils soient partagés sur le compte Facebook de l’ambassadeur d’Ukraine au Sénégal, Yurii Pyvovarov. S’ils semblent surréalistes, ces aveux sont confortés par plusieurs articles de la presse internationale.

La Presse international conforte le rôle de l’Ukraine dans la Guerre du Mali

Un jour avant les déclarations du Porte-parole du GUR, Russia Today, révélait qu’un mercenaire de Wagner opérant au Mali, du nom de Nikita Fedyanin, affirmait avoir les preuves d’un soutien du GUR à des « militants séparatistes touaregs », dont des photos d’un instructeur entrainant des GAT-S au Mali, et d’autres preuves montrant que « deux groupes », auraient été entraîné au maniement de drones First Person View (FPV) en Ukraine[2] Ukraine training militants in Africa – slain Russian military blogger, Russia Today, 28 juillet 2024, https://www.rt.com/news/601776-ukraine-training-mali-militants/ .

Le 2 août 2024, Le Monde révèle que non seulement, le GUR explorait une coopération avec le CSP et l’aurait entraîné au maniement de drones artisanales en Ukraine, mais aussi qu’un commandant du CSP a admis avoir des « liens avec les Ukrainiens, mais de la même manière que nous avons des liens avec les français, les américains, et d’autres »[3]Benjamin Roger, In Mali, the shadow of Ukraine behind rebels at war with Wagner’s Russian mercenaries, Le Monde, 2 août 2024, … En savoir plus.

Enfin, des images révélées par le Kyiv Post, le 30 juillet 2024, montrant des militants du CSP posant au Sahel avec le drapeau ukrainien viennent appuyer tous ces éléments[4]Kateryna Zakharchenko, Rebels in Mali Display Ukrainian Flag After Wagner Defeat, Kyiv Post, 29 juillet 2024, https://www.kyivpost.com/post/36557 ; Leo Chiu,  Wagner’s Defeat in Mali – What’s … En savoir plus.

Ainsi, bien que l’Ukraine se revendique du côté du droit international après l’invasion russe, elle affirme ouvertement le violer au Mali. Une politique étrangère qui, en théorie, va à l’encontre de ses propres intérêts nationaux.

En théorie, comment la politique de l’Ukraine va à l’encontre de ses propres intérêts ?

En théorie, dans ce système international, les Etats cherchent à maintenir ou à améliorer leur réputation, mais jamais à la ternir.

Si cela ne les empêche pas d’adopter des politiques illégales pour avancer leurs intérêts, ils font généralement tout leur possible pour maintenir les apparences, notamment en niant des accusations, et en manipulant l’information. L’Ukraine a par exemple nié toute implication dans le sabotage du gazoduc Nord Stream 2[5]Shane Harris, Souad Mekhennet, U.S. had intelligence of detailed Ukrainian plan to attack Nord Stream pipeline, 6 juin 2023, … En savoir plus.

Dans cette optique, dès l’invasion russe, Kiev se positionne comme légitime au regard du droit international pour attirer la solidarité de la « communauté internationale » et obtenir l’aide militaire de l’OTAN, dont elle dépend entièrement[6]Total bilateral aid allocations to Ukraine between January 24, 2022 and June 30, 2024, by donor and type (in billion euros), Statistica, … En savoir plus.

Cette approche est jusqu’à présent un succès, puisque du 24 janvier 2022 au 30 juin 2024, l’Ukraine a reçu un total de 103.83 milliards de dollars d’aide militaire de l’OTAN. Cela représente le double du budget total de sa défense entre 1992 et 2022[7] Military expenditure (current USD) – Ukraine (1992-2022), Worldbank, https://data.worldbank.org/indicator/MS.MIL.XPND.CD?locations=UA .

A eux seuls, les Etats-Unis ont contribué à hauteur de 55.4 milliards de dollars depuis le début de la guerre en Ukraine, soit 53.35 % de l’aide total[8]Joseph Clark, DOD Announces Additional Security Assistance for Ukraine, DOD News, 29 juillet 2024, … En savoir plus.

Ainsi, soutenir le terrorisme devrait normalement inciter les partenaires atlantistes à réduire leurs contributions, afin d’éviter toute association avec un État devenu « infréquentable » qui risque de détourner une partie des armes vers des groupes terroristes. Cela serait le minimum nécessaire pour être cohérent avec une politique de War on Terror.

L’Ukraine se dirigerait ainsi vers une défaite militaire assurée sur le front de l’Est. De ce point de vue, l’intervention d’Andriy Yusov devrait miner les efforts diplomatiques et militaires consentis par Kiev depuis le début de la guerre. Il est donc surprenant que l’Ukraine puisse agir à l’encontre de ses propres intérêts nationaux. Néanmoins, les Etats mènent généralement des politiques cohérentes avec leurs intérêts nationaux, et ont tendance à manipuler l’information en temps de guerre. Par conséquent, les aveux ukrainiens visent-ils un but précis ?

En pratique, les intérêts ukrainiens ont-ils été affectés ?

Pour revenir au monde réel, si l’information d’un soutien de l’Ukraine au terrorisme aurait dû provoquer des condamnations des Etats membres de l’OTAN et une réduction de l’aide militaire, dans les faits, l’OTAN est restée silencieuse.

Pire encore, c’est l’inverse que l’on constate puisque le 29 juillet 2024, date de l’intervention télévisée d’Andriy Yusov, Joe Biden annonçait une aide militaire additionnelle d’une valeur de 1.7 milliards de dollars allouée à l’Ukraine[9]Joseph Clark, DOD Announces Additional Security Assistance for Ukraine, DOD News, 29 juillet 2024, … En savoir plus.

Cette annonce intervient quelques jours après le Sommet de Washington, qui s’est tenu du 9 au 11 juillet 2024, où l’OTAN s’est engagée à fournir à l’Ukraine une aide militaire de 40 milliards de dollars par an pour lui permettre d’acquérir les capacités nécessaires à « déjouer l’agression russe » et à dissuader toute agression future en développant de manière soutenue ses capacités de défense et de production militaire.

L’aide inclut les dépenses associées à l’achat d’équipements militaires, à la maintenance, à la logistique et au transport d’équipements militaires, à l’entraînement des forces armées, à la fourniture de soutien militaire, aux investissements dans les infrastructures de défense et l’industrie militaire, ainsi qu’à l’aide « non létale »[10] Washington Summit Declaration , 10 juillet 2024, OTAN, https://www.nato.int/cps/en/natohq/official_texts_227678.htm?selectedLocale=en#pledge  .

Les alliés atlantistes qui portent sa défense et ses renseignements à bout de bras non seulement n’ont pas réagi à des aveux infâmes, mais en plus annoncent augmenter leurs contributions au développement des capacités militaires ukrainiennes[11]Joseph Clark, DOD Announces Additional Security Assistance for Ukraine , DOD News, 29 juillet 2024, … En savoir plus.

Par conséquent, les révélations de la presse internationale confirment l’existence de soutiens étatiques étrangers au terrorisme au Sahel, dénoncés depuis plusieurs années par les autorités de transition. Mais, personne n’avait anticipé l’implication de l’Ukraine…

En novembre 2023, Affaires Africaines montrait que les données suggéraient un soutien au terrorisme par la France entre 2013 et 2022. Cependant, aucune preuve directe ne venait étayer cette hypothèse. Aujourd’hui, contre toute attente, c’est l’Ukraine qui sort de l’ombre de son propre gré.

Compte tenu de la dépendance croissante de l’Ukraine à l’égard de l’aide militaire de l’OTAN, du silence des alliés atlantistes après les aveux ukrainiens, et des déclarations du commandant du CSP, il est légitime de s’interroger sur la possibilité que l’Ukraine fournisse des renseignements à des groupes armés terroristes sans que l’OTAN en soit informée ou impliquée[12] Voir le second Chapitre « La Bataille de Tinzaouatène raconté par les belligérants (22-27 juillet 2024) »  .

A lire :  la France soutien-t-elle le terrorisme au Sahel ?

De là, cet article s’intéresse à trois questions :

  • L’Ukraine a-t-elle les capacités matérielles pour fournir « le soutien nécessaire, et pas seulement des renseignements » au CSP et au JNIM/GSIM de manière autonome ?
  • Pourquoi avoir fait de telles déclarations, alors même qu’elles pourraient nuire aux intérêts de l’Ukraine ?
  • Quel est le degré d’implication des Américains, des Français, et d’autres dans le soutien au terrorisme au Sahel ?

La deuxième partie examine le déroulement quotidien de la Bataille de Tinzaouatène en s’appuyant sur les déclarations des acteurs impliqués. La troisième partie explore comment l’absence de souveraineté de l’Ukraine en matière de défense pourrait laisser suspecter une implication de l’OTAN. La quatrième partie analyse les objectifs des aveux d’Andriy Yusov, en suggérant qu’ils font partie d’une opération psychologique menée par l’OTAN. Enfin, la sixième partie offre des conclusions et des recommandations.

L’article conclut que lors de la Bataille de Tinzaouatène, le CSP et le JNIM ont reçus des renseignements d’une précision que seuls des satellites militaires de haute qualité auraient pu fournir. La présence d’armes lourdes aux mains des GAT-S, ainsi que leur organisation et coordination, suggèrent également qu’ils ont bénéficié d’un entraînement discret fourni par des services de renseignement étrangers.

Cependant, il remet en question la capacité de l’Ukraine à fournir un tel soutien de manière autonome. Il propose que, malgré les efforts de l’Ukraine pour prouver son implication, plusieurs éléments objectifs indiquent plutôt un soutien de l’OTAN à travers l’Ukraine, voire un soutien direct de l’OTAN en utilisant l’Ukraine comme bouc émissaire.

L’article souligne que l’histoire de l’Ukraine, depuis février 2014, démontre une perte de souveraineté de Kiev en matière de défense au profit de l’OTAN, illustrée par le rôle de Washington et de l’UE dans la « révolution de Maïdan », la Guerre du Donbass, et la Guerre en Ukraine. La dépendance de Kiev à l’égard de l’OTAN pour l’acquisition d’armes, l’entraînement et les renseignements renforce l’idée d’une perte de souveraineté au profit de l’OTAN.

L’article suggère donc que l’intervention télévisée d’Andriy Yusov fait probablement partie d’une « opération psychologique » menée par l’OTAN visant à :

  • Cacher le soutien de l’OTAN au terrorisme au Sahel et au-delà.
  • Affaiblir le moral des troupes Wagner stationnées dans la région de Koursk en Russie pour faciliter une incursion ukrainienne.
  • Montrer un « échec » de la lutte anti-terroriste de Bamako, afin d’inciter la population à renverser le gouvernement de transition.

Examinons maintenant les différentes versions des parties prenantes sur le déroulement de la Bataille de Tinzaouatène.

Guerre du Mali : la Bataille de Tinzaouatène racontée par les belligérants (22 – 27 juillet 2024)

La version des Forces Armés du Mali (FAMa)

Le 27 juillet, un communiqué des FAMa informe d’un crash d’hélicoptère de modèle Mi-24 à Kidal suite à des « problèmes techniques » associés à une tempête de sable, peu après son décollage.

Le même jour, l’Etat-Major des armées annonce que dans la nuit du 26 au 27 juillet, les FAMa présents aux alentours de Tinzaouatène ont dû battre en retraite suite à des combats avec les GAT-S. Ils annoncent également que cinq cibles terroristes ont été frappées par l’aviation malienne[13]FAMa, @DirpaFa, L’Etat-Major Général des armées informe l’opinion nationale que dans la nuit du 26 au 27 juillet 2024, les unités FAMa en patrouille dans le secteur de TINZAOUATENE depuis 03 … En savoir plus.

Le 29 juillet, les FAMa publient un communiqué révélant que le 19 juillet, « une opération de stabilisation » d’In-Afarak (située à 122 km au Nord-Ouest de Tessalit) et de Tinzaouatène des mains des GAT-S a été lancé. Ils affirment que les GAT-S « sévissaient contre la population civile avec des rackets, des vols et le blocage des convois logistiques destinés à approvisionner les principales villes du NORD ».

D’après le communiqué, l’opération a rapidement permis de prendre contrôle d’In-Afarak. Le convoi s’est ensuite dirigé vers Tinzaouatène et atteindra les alentours de la ville le 22 juillet. Des affrontements auront lieux du 22 au 25, tous à l’avantage des forces gouvernementales.

C’est le 25 juillet que tout bascule. Une « nuit orageuse marquée par des tempêtes de sable » va permettre aux GAT-S de se réorganiser et de recevoir « des renforts de tous les groupes terroristes de la sous-région ». Ainsi, vendredi 26, les GAT-S, comprenant le CSP, l’EIGS et le GSIM, vont encercler l’unité FAMa et lancer plusieurs véhicules kamikazes[14]FAMa, @DirpaFa, L’État-major Général des Armées informe l’opinion nationale que les FAMa ont engagé, depuis le 19 juillet 2024, une vaste opération de stabilisation dans les secteurs … En savoir plus.

Le 5 août, le Colonel Souleymane Dembélé, Directeur du Département Interarmées de la Recherche et du Planification (DIRPA) s’adressera à la presse nationale. S’il n’apportera pas de précisions sur le déroulement de la Bataille, il mettra en garde contre les tentatives de manipulation de l’information des GAT-S[15]FAMa, @DirpaFA, « Conférence de presse du 05-08-2024Le Colonel-Major Souleymane DEMBÉLÉ, directeur de l’Information et des Relations Publiques des Armées revient sur les incidents de … En savoir plus.

La version de Wagner

Le 29 juillet, le compte @orchestra_w, d’une des chaines Telegram de la Société Militaire Privée (SMP) Wagner, décrira aussi la Bataille de Tinzaouatène :

« Du 22 au 27 juillet 2024, les soldats des FAMa et du 13ème détachement d’assaut de la SMP Wagner, sous la direction du commandant Sergueï Shevchenko, alias « Étang », à proximité du village de Tinzaouatène, ont livré de violents combats avec des militants du Mouvement de coordination de l’Azawad (CMA/CSP-DPA) et du groupe terroriste Al-Qaïda au Sahel (JNIM/GSIM).

Le premier jour, le groupe « Prude » a détruit la plupart des islamistes et mis les survivants en déroute. Cependant, la tempête de sable qui a suivi a permis aux radicaux de se regrouper et d’augmenter leur nombre à 1 000 personnes. Dans ce contexte, le commandement du SMP Wagner a décidé de transférer des forces supplémentaires dans la zone de combat pour aider le 13e détachement d’assaut.

Le 25 juillet, les militants ont à nouveau attaqué les ‘musiciens’ (Wagner), mais grâce aux actions coordonnées du personnel de la SMP et du personnel militaire malien, la tentative d’attaque a été repoussée. Au cours des deux jours suivants, les radicaux ont multiplié les attaques massives à l’aide d’armes lourdes, de drones et de véhicules suicides, ce qui a entraîné des pertes parmi les soldats de Wagner et les FAMa. Le dernier radiogramme du groupe de « Prude » est arrivé le 27 juillet à 17h10 : « Nous sommes restés tous les trois, nous continuons à nous battre. » Le commandant du 13e détachement d’assaut, Sergei « Etang » Shevchenko, est mort au combat. @orchestra_w ».

D’après @orchestra_w qui ne précise pas la date des évènement, les unités Wagner-FAMa ont cornérisés les CSP-DPA, avant qu’ils ne se dispersent en plusieurs groupes de centaines d’individus.

Une unité de reconnaissance a été envoyée pour intercepter l’un de ces groupes, mais a été attirée dans une embuscade dans « un canyon ». Une fois encerclé, l’unité de reconnaissance va riposter pendant une journée.

De plus, selon des « données confirmées par Wagner », des opérateurs de drones ukrainiens auraient travaillé sur ces drones utilisés par le CSP et/ou le JNIM. Il s’agirait de drones FPV (First Person View) et de quadricoptères lourds.

Deux hélicoptères FAMa ont décollé pour apporter un appuis aérien, les Mi-8 et Mi-24, mais tous deux auraient essuyé des tirs. L’équipage de 24 personnes du Mi-24 aurait survécu, mais le commandant et l’ingénieur de vol du Mi-8 auraient été tués par la coalition terroriste. Du côté de Wagner, il y a eu plusieurs dizaines de morts et jusqu’à cinq prisonniers.

Dans d’autres messages, @orchestra_w analysera la Bataille de Tinzaouatène comme une indication que les GAT-S sont coordonnés entre eux par « des forces occidentales ». Il arrive à ces conclusions en raison du matérielle de guerre et des armes employées de manière adéquate à chaque étape de la Bataille, des embuscades et attaques surprises, et de leur organisation en unités de reconnaissances et en unités spéciales.

@orchestra_w conclut également que les conditions climatiques ont joué à la défaveur du convoi gouvernementale et de Wagner.

La version du CSP-DPA

Le 25 juillet 2024, l’Agence de presse et Médias de l’Azawad (@apmazawad), organe de  propagande du CSP-DPA va informer son audience du début d’affrontements entre ses forces et celles de FAMa soutenus par la SMP Wagner[16]Agence de Presse et Médias de l’Azawad, @apmazawad, « #Azawad | #TinzaoutenLe 25 juillet 2024, à cet instant précis, les forces armées maliennes, soutenues par les mercenaires de #Wagner, … En savoir plus.

Le 26 juillet 2024, Mohamed Elmaouloud Ramadane, « Porte-parole du CSP-DPA » twittera, « Ce 25 juillet à Tinzaoutene une unité des forces armées du #CSP_DPA a repoussé l’avancée d’une colonne des mercenaires russes de Wagner accompagnés de forces terroristes et cannibales de FAMA. Plusieurs morts et des dégâts matériels énormes du côté ennemi. »[17]Mohamed Elmaouloud Ramadane, @MohamedRAMADANE, « Ce 25 juillet à Tinzaoutene une unité des forces armées du #CSP_DPA a repoussé l’avancée d’une colonne des mercenaires russes de Wagner  … En savoir plus.

Le même jour, selon @apmazawad, à 08:55, les combats avec les mercenaires et les FAMa auraient repris à Archibrache, dans la même zone où les affrontements ont eu lieu la veille.

Le 27 juillet 2024, Mohamed Elmaouloud Ramadane annonce qu’un hélicoptère FAMa a été touché par le CSP dans l’après-midi du 26 juillet à Tinzaouatène et s’est craché à Kidal[18]Mohamed Elmaouloud Ramadane, @MohamedRAMADANE,Mali / Reprise des combat entre FAMA et combattant CSP. » Un hélicoptère des FAMA touché aux combats à Tinzaouetene cet après-midi, 26 juillet … En savoir plus.

@apmazawad annonce également de nouveaux affrontements à Inazaraf et indique que le CSP prend l’avantage après avoir incendié plusieurs véhicules des forces gouvernementales.

En début de soirée, @apmazawad annonce que suite à d’intenses combats à Tintaghaghite, une localité située à 60 km de Tinzaouatène, le convoi de l’armée malienne et des mercenaires russes a été « totalement décimé et neutralisé » par le CSP-DPA qui se qualifie de « forces armées de l’Azawad CSP-DPA ».

Le tweet ajoutera : « L’armée malienne et les mercenaires ont été contraints de fuir, mais ont été suivis et anéantis. Tous les véhicules ont été détruits, et les troupes ennemies ont subi des pertes écrasantes. ».

Dans la soirée, Mohamed Elmaouloud Ramadane dans une inversion Orwellienne des rôles twittera :

« Point de situation sur la reprise des hostilités ce 26 juillet 2024 à Tinzaouatene. Depuis hier jeudi 25 juillet 2024, des unités du CSP-DPA stationnées à Tinzaouatène affrontent les mercenaires russes du groupe Wagner et l’armée malienne pour protéger les populations civiles et leurs biens, qui constituent la cible principale de l’ennemi. L’ennemi a subi d’énormes pertes en vies humaines et en matériels dont des engins blindés détruits et du matériel récupéré par nos forces. Cet après-midi, un des hélicoptères de l’armée malienne touché au combat a fini par cracher à Kidal. Du côté d’Inafarak, la situation reste entièrement sous contrôle des forces armées de l’Azawad, qui ont renforcé leur présence militaire suite à l’incursion temporaire et opportuniste du couple terroriste, Wagner-Fama. En ce moment, l’ennemi en débandade, est poursuivi par nos forces. Mohamed Elamouloud Ramadane, Porte-parole du CSP-DPA. »[19]Mohamed Elamouloud Ramadane, @MohamedRAMADANE, « Point de situation sur la reprise des hostilités ce 26 juillet 2024 à Tinzaouatene Depuis hier jeudi 25 juillet 2024, des unités du CSP-DPA … En savoir plus.

Le 28 juillet 2024, le CSP-DPA publiera un communiqué et se déclarera vainqueur de la Bataille de Tinzaouatène[20]Mohamed Elamouloud Ramadane, @MohamedRAMADANE, « Le CSP-DPA se félicite de cette victoire arrachée par ses hommes, images et vidéos à l’appui durant ttes ces batailles. », 28 Juillet … En savoir plus.

Plusieurs comptes x (twitter) dont @oumaragg et ceux mentionnés plus haut publieront des vidéos montrant les cadavres de plusieurs dizaines d’hommes blancs présentés comme des mercenaires russes de Wagner et des FAMa.

Ces vidéos montrent les terroristes pillant, maltraitant et humiliant les cadavres et les prisonniers. Les séparatistes du CSP-DPA exposent également les armes en leurs possessions d’une part, et leurs prises de guerre d’autre part, puisque les vidéos de propagande révèlent qu’ils possèdent plusieurs véhicules blindés, des 4×4, des motos, des armes et du matérielle de guerre pris aux FAMa-Wagner. Certains terroristes sont également vêtus des uniformes des soldats et mercenaires tombés au combat.

Bien que Mohamed Elmaouloud Ramadane, dans un communiqué affirme que le CSP-DPA a agis seul, le JNIM/GSIM a au travers de ses canaux de propagande revendiqué son implication[21]Mohamed Elmaouloud Ramadane, @MohamedRAMADANE, Le CSP-DPA tient à préciser que ces affrontements qui ont opposé ses forces à cette coalition terroriste Fama/Wagner ont été menés exclusivement … En savoir plus.

Par ailleurs, un rapport de l’International Institute for Counter Terrorism (2023, 7) démontre l’existence de liens étroits entre les deux groupes armés[22]David Doukhan, Mali – The Battle of Kidal, International institute for counter terrorism, 2023, 7, https://ict.org.il/wp-content/uploads/2023/12/Doukhan_Mali-The-Battle-of-Kidal_2023_22_11.pdf … En savoir plus.

La version de « @Rybar »

@Rybar_in_English, une chaine Telegram dédiée à l’analyse des développements militaires dans le monde, réputée proche du Kremlin et régulièrement cité par les médias du monde entier, postera le 28 juillet 2024 une version détaillée des faits[23] t.me/rybar_in_english,  28 juillet 2024, 18h :

« Intensification des combats dans le nord du Mali : embuscade contre le SMP Wagner et mort de l’administrateur de @grey_zone.

Depuis le 20 juillet, les forces armées maliennes, appuyées par le SMP Wagner, ont intensifié leurs opérations de reconnaissance et de recherche à la frontière algérienne. Les activités ont été menées avec des forces limitées afin d’identifier les positions des militants de la « Coordination des Mouvements de l’Azawad » (CMA) et du groupe affilié à Al-Qaïda « Jama’at Nasr al-Islam wal Muslimin » (JNIM/GSIM).

  • Le 22 juillet, les groupes avancés ont mené un raid à In-Afarak : seuls des dépôts de carburant ont été trouvés dans la localité. Après le retrait de l’armée, qui avait réussi à annoncer la capture du village, les rebelles touaregs ont de nouveau occupé la localité. Au même moment, un convoi de 20 véhicules se dirigeait vers la ville de Tinzaouatène, dernier bastion majeur des militants de l’Azawad.
  • Le 23 juillet, les forces gouvernementales ont atteint Boghassa (localité située dans le cercle d’Abeïdara dans la région de Kidal). Alors que la colonne avançait vers la cible, elle a été touchée par un engin explosif improvisé posé par les séparatistes dans la vallée de Wadi Tamassaharit.
  • Le 25 juillet, les forces gouvernementales ont affrontées les rebelles de l’Azawad à 20 kilomètres de la ville (Boghassa). Le premier jour de la bataille a porté ses fruits : les militants ont été repoussés contre la ville à une distance de 7 km, et certains groupes ont atteint un petit camp à 2 km de la frontière algérienne. L’un des commandants de terrain a également été éliminé.

📌Si la colonne de l’armée ne comptait pas plus de sept douzaines de militaires, les rebelles ont concentré un groupe de 900 personnes à Tinzaouatène, y transférant des renforts. La bataille qui s’ensuit est interrompue par une tempête de sable : les parties retirèrent leurs troupes de la ligne de front.

Le lendemain, la bataille reprend à l’initiative de l’ennemi. Les touaregs attaquent les camps et parviennent à détruire une partie des véhicules blindés. L’aviation de l’armée qui arrive en renfort est inefficace en raison des conditions météorologiques, et l’un des hélicoptères Mi-24 est pris pour cible par des tirs antiaériens : l’hélicoptère atterrit d’urgence à Kidal.

  • Le 27 juillet, les forces gouvernementales commencent à se retirer des abords de la ville (les touaregs continuent à amener des renforts). C’est alors que les militants de la branche malienne d’Al-Qaïda entrent en scène : le groupe « Jama’at Nasr al-Islam wal Muslimin » (JNIM), agissant apparemment de concert avec le « Mouvement Azawad », tend une embuscade à la colonne des Forces armées maliennes et à la SMP Wagner près des montagnes de Tin-Gamera, en minant la zone.

Après l’explosion et l’attaque des membres d’Al-Qaïda, les touaregs sont arrivés, piégeant le reste des forces gouvernementales et russes. La bataille s’est terminée par une défaite et la capture des survivants. […].

Malgré les vidéos et les photos qui circulent sur Internet, le nombre de victimes ne devrait pas dépasser quelques dizaines : certains des cadavres blancs pourraient appartenir aux rebelles touaregs, qui ont été filmés pour la propagande.

📌Selon les informations de Medved na divane, Wagner, en collaboration avec le « African Corps » @KorpusAfrica, a rapidement mené des négociations pour rançonner les prisonniers, concluant deux accords. » 

Carte détaillée des affrontements de Tinzaouatène (20-27 juillet 2024) opposant les Forces armées du Mali aux Groupes armés terroristes et séparatistes présumés soutenus par l'Ukraine, selon le compte telegram Rybar in English.
Source: @Rybar_in_english

Comment analyser ces données ?

Un soutien étatique via satellite militaire ?

S’il sera difficile de déterminer les circonstances exactes de la Bataille de Tinzaouatène, les différentes versions s’accordent sur certains points.

Le 25 juillet, suite à l’apparition d’une tempête de sable, les combats vont cesser pendant la nuit et les troupes des deux côtés vont se retirer. Pendant ce temps, le CSP accumulera des renforts pour atteindre 900 à 1000 combattants.

Si ce n’est affirmé dans aucune version, l’on peut déduire que pendant cette pause, le CSP en profitera pour identifier les positions du convoi FAMa-Wagner, car c’est à leur initiative que les combats reprendront le lendemain matin. L’attaque surprise causera des pertes importantes aux unités FAMa/Wagner et les forcera au repli.

Le 27 juillet, alors en plein repli vers la ville de Kidal, à hauteur des montagnes de Tin-Gamera, une embuscade sera tendu par le JNIM avec l’appuis du CSP. La route sera minée d’Engins Explosifs Improvisés (EEI), et leurs explosions sonnera le début de l’assaut final.

Ces informations révèlent que le JNIM/GSIM et le CSP-DPA connaissaient l’itinéraire du convoi, sa position en temps réel et ont coordonnés leur attaque. Des survivants FAMa et Wagner tenteront de fuir mais seront rattrapés puis capturés ou tués.

Partant de ces constats, comment le CSP et le JNIM ont pu connaître les positions du convoi les 25-26 et 27 juillet, malgré une tempête de sable ?

Si le CSP et/ou le JNIM/GSIM sont en possession de drones, le 26 juillet, deux hélicoptères maliens ne vont pas être en mesure d’apporter un soutien aérien en raison des intempéries et de tirs ennemis.

Des drones auraient fait face aux mêmes difficultés de vol et n’auraient pas pu remplir leurs missions. A plus forte raison si l’on considère que les drones sont hautement vulnérables aux conditions météorologiques. De plus, des drones seuls n’auraient pas pu couvrir l’ensemble du territoire s’étendant sur des centaines de kilomètres carrées en plein désert.

Il est donc improbable que des drones FPV et des quadricoptères aient permis aux GAT-S de traquer les positions du convoi FAMa/Wagner pour mener à bien une attaque surprise le 26 et une embuscade le 27 juillet.

Pour savoir comment les GAT-S ont pu connaitre les positions des forces gouvernementales, Il faut donc privilégier deux hypothèses :

  • la présence de « guets» dans toute la région de Kidal.

Ou bien,

  • le recours à un satellite militaire.

La première hypothèse demanderai une coopération 24 heures sur 24 entre des centaines, voire de milliers de civils et les GAT-S dans toute la région de Kidal. Cela présuppose que des centaines de talkies-walkies ou de téléphones ont été distribués aux civils pour qu’ils rapportent chaque mouvement des forces gouvernementales dans la région à une unité GAT-S centralisant les informations.

Cette hypothèse est improbable puisque signifierai qu’un nombre important de civils dans toute la région de Kidal coopèrent avec les mêmes GAT-S qui les persécutent depuis plus d’une décennie. D’autre part, le réseau téléphonique en plein désert n’est pas suffisamment développé pour permettre aux téléphones d’avoir du signal partout. Enfin, l’usage de talkies-walkies serait peu sécurisé et permettrai aux FAMa d’intercepter les communications, et donc, d’anticiper les attaques surprises.

Privilégions donc l’hypothèse du recours à des satellites militaires équipés de technologie permettant de surveiller les déplacements de troupes, peu importe les conditions météorologiques et de visibilité. L’Ukraine ayant d’elle-même admise avoir fourni un soutien en renseignement aux GAT-S conforte cette hypothèse. Néanmoins est-ce que l’Ukraine possède de telles capacités techniques ?

La présence d’armes lourdes

Les vidéos de propagande du CSP et les témoignages de Wagner indiquent la présence d’armes lourdes aux main des GAT-S. @orchestra_w conclu à un soutien étatique, mais est-ce aussi simple ?

Les armes lourdes sont effectivement extrêmement contrôlés et tracées par les Etats exportateurs. Leurs tailles et poids font qu’elles sont difficiles à acquérir et à transporter de manière illicite.

Ces contraintes logistiques font que les trafiquants, le crime organisé, et les GAT-S privilégies les Armes Légères et de Petit Calibre (ALPC), les munitions, les composantes d’armes légères et les armes réactivées, plus petites et donc, faciles à dissimuler et à transporter.

Cependant, la chute de Kadhafi avait laissé le stock d’armes de l’armée Libyenne sans surveillance, ce qui profitera aux GAT-S dans la région, dont Al-Qaeda au Maghreb Islamique (principal groupe composant le JNIM), et les groupes séparatistes touaregs.

Mais la possession d’armes lourdes s’accompagne de contraintes d’entretien, en particulier au Sahel, et d’accès à des munitions. De ce fait, il est peu probable qu’après plus de dix ans, les GAT-S aient encore largement recours aux armes lourdes libyennes.

Par conséquent, le recours à des armes lourdes par le CSP et le JNIM, dont des blindés, suggère effectivement un appuis étatique extérieur. Mais au-delà, la présence d’armes lourdes suggère également l’implication d’un Etat voisin, qui, à son insu ou avec son accord, a permis les transports logistiques via ses frontières. Le Sud et l’Est de la région de Kidal étant contrôlés par le Mali et le Burkina Faso, les seuls routes possibles passent via la Mauritanie ou l’Algérie. Cette observation est concordante avec le fait que le Mali accuse l’Algérie de diffuser la propagande terroriste suite à Tinzaouatène[24]Tinzaouatène: le Mali accuse l’Algérie de diffuser de «la propagande terroriste» et hausse le ton à l’ONU, RFI, 31 août 2024,  … En savoir plus.

Une autre hypothèse serait que les armes aient été transportés par les airs. Notre article sur l’affaire des 49 soldats ivoiriens révélait l’existence de deux contrats illégaux signés entre l’entreprise allemande, Sahel Aviation Service, et la mission d’assistance des Nations unies pour l’Irak – MANUI/UNAMI, pour des « transports logistiques » sur le territoire malien. Ils sont illégaux puisque le mandat de l’UNAMI se limite au territoire Irakien.

Des armes lourdes ont-elles été transférés aux GAT-S dans le cadre de ces contrats ? Impossible à savoir sans preuves matérielles, toutefois, ces activités sont particulièrement suspectes.

A lire: Mali : 49 soldats Ivoiriens arrêtés, le début d’un scandale onusien ?

Le mode opératoire, signe de soutien étatique ?

@orchestra_w note la présence d’unités de reconnaissance et d’unités spéciales côté GAT-S, ainsi qu’une coopération militaire entre le CSP et le JNIM. Si ces faits sont avérés, ils dénotent une évolution du mode opératoire des GAT-S comparé aux affrontements et attaques de 2012 à nos jours. Bien qu’il existe des liens avérés entre le JNIM et le CSP, ils opéraient individuellement jusqu’à présent. De plus, leur coordination suggère d’importantes communications qui permettront l’embuscade du 27 juillet.

Enfin, l’organisation des GAT-S en unités de reconnaissance, en unités spéciales, et l’élaboration de tactiques militaires permet également de soupçonner qu’ils ont suivi un entrainement aux tactiques de guerres que seul des services de renseignements étrangers sont en mesure de fournir en toute discrétion.

Une fois ces constats dressés une question demeure ; L’OTAN se cache-t-il derrière les annonces de l’Ukraine ?

En quoi l’absence de souveraineté de l’Ukraine en matière de défense permet de suspecter l’OTAN ?

L’idée que l’Ukraine puisse fournir les GAT-S au Sahel en arme lourdes, en entraînement, et en renseignement soulève de nombreuses questions quant à ses capacités réelles et son autonomie en matière de Défense.

Depuis le début de la guerre en Ukraine, Kiev s’est montré dépendante de ses partenaires de l’OTAN pour obtenir des armes lourdes, de l’entrainement, du soutien militaire et en renseignements. Cette dépendance s’est illustrée par les appels répétés du Président Volodymyr Zelensky en faveur d’une augmentation de l’aide militaire de la part de ses alliés de l’OTAN, et par les annonces d’augmentation de l’aide récente.

A lire : Aide militaire à l’Ukraine: un danger pour l’Afrique?

Compte tenu de ses besoins urgents sur le front de l’Est, et de sa dépendance à l’aide militaire atlantiste, il parait contradictoire que l’Ukraine puisse transférer une partie de ses armes lourdes, former et fournir des renseignements à des GAT-S au Sahel de manière autonome.

Ainsi, dans ce chapitre, l’analyse reposera sur l’histoire ukrainienne de 2014 à 2022, et sur des révélations de la presse internationale qui suggèrent :

  • une perte de souveraineté de l’Ukraine en matière de Défense au profit de Washington et de l’OTAN
  • une instrumentalisation de l’Ukraine pour mener une guerre interposée contre la Russie.

Histoire de l’Ukraine de 2014 à nos jours : l’OTAN était au courant du soutien au terrorisme ?

La révolution de Maïdan (18-23 février 2014)

Selon la version occidentale, le régime démocratiquement élu du Président Viktor Ianoukovytch, considéré comme pro-russe, corrompu, autoritaire et responsable d’un retard économique important par rapport aux voisins régionaux, va devenir impopulaire suite à son refus de signer un traité de libre-échange proposé par l’Union européenne (UE).

En novembre 2013, des manifestations « pacifiques » anti-corruption et réclamant la signature du traité gagneront en popularité. Réprimant de plus en plus violemment les manifestants, le Président Ianoukovytch sera renversé « par la population » entre les 18 et 23 février 2014, avec le soutien « passif » des Etats-Unis et de certains Etats européens. Ces évènements seront connu comme la « Révolution de Maïdan »[25] Understanding Ukraine’s Euromaidan Protests, Open Society, mai 2019, https://www.opensocietyfoundations.org/explainers/understanding-ukraines-euromaidan-protests .

Après avoir renversé le Président démocratiquement élu, des élections seront organisées en mai 2014. Elles seront gagnées par Petro Poroshenko, un homme politique Pro-OTAN et proche des mouvements d’extrême droite ukrainiens. Il restera au pouvoir jusqu’à sa défaite lors des élections de 2019 et l’arrivée au pouvoir d’un ancien acteur/réalisateur également pro-OTAN, Volodymyr Zelensky.

La Russie contestera dès le départ ce narratif occidentale et accusera les Etats-Unis et l’OTAN d’avoir orchestré rien de moins qu’un « coup d’Etat ». John J. Mearsheimer (2014, 3) rappelle qu’en février 2014, Sergey Lavrov, ministre des affaires étrangères russe, accusait l’Union européenne de tenter d’étendre sa « sphère d’influence » en Europe de l’Est. Selon Moscou, le traité de libre-échange proposé par l’UE était un traquenard pour intégrer l’Ukraine à  l’OTAN[26]John J. Mearsheimer, Why the Ukraine Crisis Is the West’s Fault? The liberal delusions that provokes Putin, septembre/octobre 2014, 3 … En savoir plus.

Plusieurs faits objectifs permettent d’étayer les accusations du Kremlin, dont l’enregistrement d’une conversation téléphonique fuitée. L’on y entend Victoria Nuland, Secrétaire d’Etat assistante des Etats-Unis pour l’Europe et l’Eurasie, et Geoffrey Pyatt, ambassadeur des Etats-Unis en Ukraine, discuter des plans de Washington concernant la future composition du gouvernement Ukrainien une fois Ianoukovitch destitué.

Toutefois, la conversation aura lieux plusieurs semaines avant ladite « révolution », à un moment où personne ne pouvait prédire la chute de Ianoukovytch, excepté d’éventuels comploteurs[27]Repost, « Марионетки Майдана », Vidéo Youtube consultée le 22 août 2024, https://www.youtube.com/watch?v=MSxaa-67yGM&t=89s ; Ted Galen Carpenter, America’s Ukraine … En savoir plus. Ce scandale passera inaperçu en occident puisque les médias n’aborderont pas le sujet.

Un autre élément appuyant les accusations russes est l’intervention à l’Assemblée nationale du député ukrainien, Oleg Tsarov. En novembre 2013, trois mois avant la chute du gouvernement et au début des premières manifestations, le député déclarait avoir reçu des informations crédibles suggérant qu’une opération secrète américaine était en cours en Ukraine.

Le député affirmera dans son allocution au parlement que cette opération vise à renverser le Président Ianoukovitch au travers de « Tech Camps ». Il explique qu’il s’agit de conférences organisées à l’ambassade américaine pour former « des acteurs de la société civile » à l’utilisation des nouvelles technologies de communication et des réseaux sociaux pour inciter la jeunesse à renverser un gouvernement.

Lors de ces « Tech Camps », d’après les sources d’Oleg Tsarov, les instructeurs américains auraient présenté des exemples d’application réussies de leurs méthodes de coups d’Etats, dont le Printemps Arabe, et la Libye. Trois mois plus tard, la chute du Président Ianoukovitch et l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement pro-OTAN donnera raison à Oleg Tsarov[28] »MUST WATCH: Nov 2013 (pre-Maidan!): Ukraine Deputy has proof of USA staging civil war in Ukraine ». Vidéo Youtube consultée le 22 août 2024, … En savoir plus.

En outre, l’implication de Washington dans les « Révolutions colorées » en Serbie, en Géorgie, en Ukraine et au Kyrgyzstan de 2000 à 2005 a également été documenté et admise par les hauts responsables américains impliqués.

Le documentaire de Manon Loizeau (2005) intitulé, « les Etats-Unis à la conquête de l’Est » montre comment au travers d’activités identiques aux « Tech Camps », l’Agence d’Aide au Développement Américaine (USAID), le National Endowment for Democracy (NED), Open Society, Freedom House, l’International Republican Institute (IRI), et les ambassades américaines vont former des groupes de la « société civile » à l’utilisation des nouvelles technologies de communication et les réseaux sociaux pour renverser les chefs d’Etats de ces pays[29]Sur les révolutions colorées, voir le documentaire de Manon Loizeau. Manon Loizeau, Les  Etats-Unis à la conquête de l’Est, Canal +, 2005 ; Le documentaire est disponible sur youtube, … En savoir plus.

La thèse d’un coup d’Etat orchestré par Washington est donc non seulement documentée, mais paraît aussi évidente au regard de l’histoire de la sous-région. Cependant, il est important de savoir si ce changement de régime a eu une incidence sur la souveraineté ukrainienne en matière de défense de février 2014 à nos jours.

L’Ukraine est-elle souveraine en matière de défense? (Février 2014 à nos jours)

Une fois au pouvoir, Petro Poroshenko mettra en place une politique de nettoyage ethnique des minorités russophones, composées de plusieurs millions d’habitants localisés à Donetsk et Louhansk, sur l’île de la Crimée et dans la ville portuaire de Sébastopol, toutes à la frontière avec la Russie.

Les premières mesures du nouveau parlement seront de mettre fin au russe comme langue nationale, d’interdire son utilisation dans chaque région, et d’interdire la diffusion des médias russes sur tout le territoire.

En réaction, Donetsk et Louhansk voteront en faveur d’une indépendance vis-à-vis de l’Ukraine au travers de référendums. La Crimée et la ville autonome de Sébastopol organiseront également un référendum pour intégrer la Fédération de Russie. Avec respectivement 83.1 % et de 89.5 % des suffrages exprimés, les résultats ont été de 96.77 % et de 95.6 % en faveur de l’intégration.

Le gouvernement ukrainien lancera une offensive militaire contre les populations indépendantistes de Donetsk et de Louhansk, sonnant le début d’une guerre civile opposant les séparatistes aux troupes militaires et paramilitaires gouvernementales, dont certains se revendiquent Néo-Nazis[30] Profile: Who are Ukraine’s far-right Azov regiment?, Al Jazeera, 1er mars 2022,  https://www.aljazeera.com/news/2022/3/1/who-are-the-azov-regiment .

Le Haut-commissariat aux Droits de l’Homme de l’ONU estime que du 14 avril 2014 au 31 décembre 2021, plus de 14 000 personnes ont été tuées, dont 3 404 civils et 6 500 membres des groupes armés séparatistes[31]Haut-commissariat aux Droits de l’Homme des Nations Unies, Conflict-related civilian casualties in Ukraine, ONU, 27 janvier 2022, … En savoir plus.

C’est dans ce contexte que la Russie amassera des troupes sur l’île et le long de la frontière avec les régions citées plus haut. La Crimée et Sébastopol seront donc « annexées » par Moscou sans effusion de sang[32]Armin Arefi, « Ukraine : la CIA en sous-main ? », Le Point, 5 mai 2014, https://www.lepoint.fr/monde/ukraine-la-cia-en-sous-main-05-05-2014-1819233_24.php ; Jeff Rogg, « Op-Ed: The CIA has backed … En savoir plus.

De là, une multitude de révélations de la presse internationale démontrent que Washington et à moindre mesure l’OTAN, soutiennent à bout de bras l’appareil de défense ukrainien, posant questions quant à la souveraineté ukrainienne en matière de défense.

La CIA entraînera et armera des forces spéciales et des agents du renseignement ukrainien pour « les préparer à l’éventualité d’une intervention russe en Ukraine » dès 2015[33]Armin Arefi, « Ukraine : la CIA en sous-main ? », Le Point, 5 mai 2014, https://www.lepoint.fr/monde/ukraine-la-cia-en-sous-main-05-05-2014-1819233_24.php ; Robert H Wade, Why the US and NATO … En savoir plus.

Le 21 novembre 2021, The Intercept révèle également que pendant la Guerre du Donbass, le FBI et la CIA ont fourni une assistance technique et entraînés des forces de sécurité ukrainiennes pour les aider à mâter l’insurrection. Cela incluait la formation en contre-terrorisme et en collecte de renseignements[34] Jeremy Scahill, From Bush to Obama, and Trump to Biden, U.S. Militarism Is the Great Unifier , The Intercept, 21 novembre 2021, … En savoir plus.

Depuis le début de la Guerre en Ukraine, d’autres révélations démontrent que Washington, et à moindre mesure, d’autres Etats membre de l’OTAN sont au cœur de l’appareil de défense et de renseignement ukrainien de février 2014 à nos jours, suggérant non seulement une perte de souveraineté de l’Ukraine, mais potentiellement une subordination à l’OTAN.

Le 6 juin 2023, le Washington Post révélait qu’au moins trois mois avant le sabotage du Nord-Stream 2, la CIA était au courant des plans Ukrainiens mais a laissée faire. Ce n’est que plusieurs mois après les faits que la CIA partagera les informations en sa possession avec les renseignements européens[35]Shane Harris, Souad Mekhennet, U.S. had intelligence of detailed Ukrainian plan to attack Nord Stream pipeline, 6 juin 2023, … En savoir plus.

En février 2024, le New York Times révélait comment la CIA avait entièrement financé et partiellement équipée une base souterraine d’espionnage de l’armée Ukrainienne. Cette information est confirmée par le Générale Serhii Dvoretskiy, un haut commandant des renseignements Ukrainiens[36]Adam Entous, Michael Schwirtz, The Spy War: How the C.I.A. Secretly Helps Ukraine Fight Putin, The New York Times, 25 février 2024, … En savoir plus.

Enfin, Politico révèle qu’en août 2024, l’Ukraine a eu le « feu-vert » de ses alliés, de Berlin et de Washington, pour lancer une incursion surprise contre la région de Koursk en Russie[37]Joshua Posaner, Nette Nöstlinger and Connor O’Brien, Kyiv’s offensive gets a greenish light from its allies, 9 août 2024, … En savoir plus.

Par conséquent, la mainmise de l’OTAN sur l’appareil de défense ukrainien est tel que le GUR semble avoir besoin de l’aval de ses pairs pour lancer certaines opérations spéciales. Même si l’on peut comprendre le soucis de l’Ukraine d’éviter de provoquer une troisième Guerre Mondiale, ce « feu-vert » intrigue.

Ces révélations, juxtaposées à la dépendance de l’appareil de défense ukrainien à l’aide de l’OTAN, suggèrent qu’Il est improbable que les Etats membres de l’OTAN, en particulier Washington, Paris et Berlin, n’aient pas été informés ou participés au soutien au terrorisme au Mali. D’autant plus qu’un commandant du CSP a avoué être « en lien avec les français, les américains et d’autres… ».

Toutefois, ces révélations et l’existence de lien avec le CSP ne permet pas de connaitre le degré d’implication de l’OTAN dans cette affaire.

Puisqu’Il a été argumenté que lors de la Bataille de Tinzaouatène, le CSP-DPA et le JNIM ont bénéficié de renseignements accessibles uniquement via des satellites militaires de haute précision, pour mieux comprendre l’implication de l’OTAN, une méthode consiste à analyser les capacités de surveillance satellitaire de l’Ukraine, des États-Unis et de la France.

Les capacités techniques ukrainiennes en matière de surveillance satellitaire

D’après les données de l’Union of Concerned Scientists (UCS), un collectif de scientifiques qui répertorie les satellites opérationnelles en orbite autour de la terre, au 1er mai 2023, le gouvernement Ukrainien ne possédait qu’un seul satellite militaire en orbite, le Sich-2-1, qui a des capacités « optiques proche de l’infrarouge »[38] UCS Satellite Database, USC, 1er mai 2023, https://www.ucsusa.org/resources/satellite-database .

D’autres sources suggèrent que l’Ukraine possède en réalité deux satellites, dont le Sich-2-1 et le Sich-2-30[39]Sich-2 (Optical Observation Mission-2), EO Portal, 15 juin 2012, https://www.eoportal.org/satellite-missions/sich-2#bus-structure ; Ukraine Looking to have Several Satellites in Orbit by 2026, … En savoir plus.

Le Sich-2-1, de qualité intermédiaire, ne permet pas à l’Ukraine d’acquérir des renseignements de haute qualité partout dans le monde 24 heures sur 24. Néanmoins, le Sich-2-30, lancé en orbite en 2022, pourrait permettre de recueillir des données comme celles apportées aux GAT-S à Tinzaouatène. Toutefois, il ne permet pas une couverture mondiale 24 heures sur 24.

En plus de ces satellites, le GUR bénéficie d’un accès à la base de données de l’entreprise finlandaise, ICEYE, qui propose des images satellites de haute résolution et fournit des services d’imageries radar à synthèse d’ouverture (SAR) permettant la surveillance des mouvements de troupes, peu importe les conditions climatiques et de jour comme de nuit[40]Veronika Melkozerova, Joshua Posaner, Ukraine’s ‘people’s satellite’ wreaks havoc on Russian targets, Politico, 1er juillet 2024,  … En savoir plus.

« Assisté de plusieurs pays occidentaux, dont les Etats-Unis », le réseau de satellites de communication Starlink, opéré par l’entreprise américaine SpaceX permet également à l’Ukraine d’acquérir des renseignements extrêmement précis, et d’effectuer des communications sécurisées dans des zones où les infrastructures terrestres sont endommagées ou inaccessibles[41]Sylvain Trinel, Guerre en Ukraine: comment la Russie a mis à mal les satellites de Starlink, BFM TV, 24 mai 2024, … En savoir plus. D’après la presse internationale, l’Ukraine dépendrait largement de Starlink et de ICEYE dans ses opérations quotidiennes au front de l’Est.

Toutefois, selon le New York Times, le réseaux de satellites Starlink avait été « mis à mal » par une nouvelle technologie russe en mai dernier. Il est possible qu’il ai été opérationnel au moment de Tinzaoutène, mais impossible à dire avec certitudes[42]Sylvain Trinel, Guerre en Ukraine: comment la Russie a mis à mal les satellites de Starlink, BFM TV, 24 mai 2024, … En savoir plus.

Par conséquent, en pleine guerre contre la Russie, l’une des premières puissance mondiales, les satellites Sich-2-1 et 2-30, seuls que l’Ukraine a en sa possession sont nécessairement braqués sur l’Ukraine, la Mer Noire, les frontières et sur les troupes russes et de Wagner, présentes sur le front de l’Est.

Cependant, il n’est pas impossible que l’Ukraine ait fourni les renseignements nécessaires aux CSP et aux JNIM/GSIM par le biais de ses partenariats commerciaux. Mais puisque Starlink et ICEYE sont intrinsèques au complexe militaro-industriel de l’Alliance, il est impensable que le GUR ait pu opérer au Sahel sans que d’autres services de renseignements occidentaux en aient été informés ou y aient participé[43]ICEYE and U.S. Army to Pursue Collaborative Research and Development, ICEYE, 18 novembre 2021, … En savoir plus.

De là, intéressons-nous aux capacités des Etats membres de l’OTAN mentionnés par le commandant du CSP, à savoir, les américains et les français.

Les capacités techniques américaines en matière de surveillance satellitaire

Selon l’Union of Concerned Scientists (UCS), en mai 2023, Washington comptait 416 satellites opérationnels à vocation militaire, gouvernementale et commerciale-militaire. Parmi ces satellites, on trouve au moins sept Space Based Infrared Systems (SBIRS), qui utilisent deux types de capteurs : un step-starer et un scanner. Ces satellites, ainsi que ceux du National Reconnaissance Office (NRO), jouent un rôle crucial dans les opérations militaires américaines[44]https://www.ucsusa.org/resources/satellite-database .

Les satellites du NRO incluent notamment :

  • KH-11 (Kennan/Crystal) : Ces satellites de reconnaissance optique sont parmi les plus avancés au monde, capables de capturer des images de très haute résolution. Bien que leurs capacités soient classifiées, ils sont supposés pouvoir distinguer des détails aussi fins que des plaques d’immatriculation depuis l’espace.
  • Orion (Mentor) : Spécialisés dans la collecte de signaux d’intelligence (SIGINT), ces satellites interceptent des communications et des signaux électroniques, fournissant des renseignements uniques en leur genre.

Le système SBIRS (Space-Based Infrared System) est dédié à l’alerte précoce, utilisant des satellites infrarouges pour détecter les lancements de missiles balistiques à travers le monde. Ces satellites scannent en continu la Terre, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, pour alerter contre les menaces balistiques des États adverses.

Les données collectées et traitées par les équipes au sol sont essentielles pour les missions de renseignement de Washington, offrant des informations en temps réel sur les théâtres d’opérations du monde entier.

Le step-starer, en particulier, fournit des renseignements précis et immédiats, capables de détecter des événements sur le terrain, tels que des mouvements de troupes, des préparations d’opérations spéciales, ou l’ouverture de rampes de lancements de missiles balistiques[45] United States Space Force, Fact Sheets, mars 2023, https://www.spaceforce.mil/About-Us/Fact-Sheets/Article/2197746/space-based-infrared-system/ .

En complément, les satellites AEHF (Advanced Extremely High Frequency) assurent des communications sécurisées et résistantes au brouillage pour les forces américaines et leurs alliés, cruciales en période de crise ou dans des environnements de guerre électronique intense. Le MUOS (Mobile User Objective System), quant à lui, fournit une couverture mondiale pour les communications tactiques, en particulier pour les unités mobiles, améliorant les capacités des systèmes précédents[46]Factsheet, Advanced Extremely high frequency system (AEHF), Space Operations Command Public Affairs, août 2021, https://media.defense.gov/2022/Apr/08/2002973439/-1/-1/1/AEHF FACTSHEET.PDF ; … En savoir plus.

D’autres satellites, comme le USA-136, sont utilisés pour surveiller et intercepter des communications téléphoniques et radio[47] Nasa Space science data corrdinated archive, USA 136, National Aeronautics and Space Administration (NASA), https://nssdc.gsfc.nasa.gov/nmc/spacecraft/display.action?id=1997-068A . Passons maintenant aux capacités françaises.

Les capacités techniques françaises en matière de surveillance satellitaire

Si la France est loin d’égaler les Etats-Unis en nombre de satellites militaires opérationnels, elle en possède tout de même 27 d’après l’UCS, dont certains font partie des plus performants au monde. Selon le Commandement de l’Espace du ministère des Armées, les satellites militaires les plus performants de l’armée française en matière de surveillance incluent les constellations CSO (Composante Spatiale Optique), Syracuse IV, et CERES (système de Capacités de Renseignement d’origine Electromagnétique Spatial)[48]une constellation fait référence à plusieurs satellites du même type en orbite autour de la terre ; Nos capacités spatiales, Commandement de l’Espace, … En savoir plus.

La constellation CSO comprenant trois satellites (CSO-1, CSO-2 et CSO-3) est destinée à la surveillance dans le domaine du renseignement spatial, du soutien et de la conduite des opérations sur les théâtres d’opérations.

Ils combinent plusieurs bandes spectrales visible (panchromatique, couleur, proche-infrarouge) et infrarouge. Selon le Commandement de l’Espace, ils « n’ont aucun équivalent en Europe à ce niveau de résolution ». Ils permettent aussi de collecter des données sur des théâtres de guerre de jour comme de nuit, et peu importe les conditions météorologiques.

La constellation Syracuse IV (Système de Radio Communication Utilisant un Satellite), sont dédiés aux communications militaires sécurisées. La dernière génération, Syracuse 4A et 4B, offre des capacités de communication résistantes au brouillage et à la guerre électronique, assurant une connectivité fiable et sécurisée pour les forces armées françaises, y compris les unités déployées à l’étranger.

Enfin, les satellites CERES forment une constellation dédiée à l’interception et à l’analyse des émissions électromagnétiques. Ils permettent à la France de recueillir des renseignements sur les communications et les radars ennemis.

Quel est le degré d’implication de l’OTAN dans le soutien au terrorisme au Mali ?

Ce chapitre suggère que s’il n’est pas impossible que le GUR ait fourni les renseignements qui ont permis aux GAT-S de gagner la Bataille de Tinzaouatène, ces renseignements ont nécessairement été acquis via ses partenariats avec ICEYE et SpaceX, deux entreprises intrinsèques au complexe militaro industriel atlantiste.

Par ailleurs, Washington et Paris possèdent parmi les capacités de renseignement par satellite militaire les plus avancées au monde. Elles leur permettent de collecter des renseignements de haute précision sur n’importe quel théâtre de guerre, et de traquer les mouvements des troupes ennemies où qu’elles soient, indépendamment des intempéries ou de la visibilité.

L’on peut donc conclure que l’OTAN, et en particulier Washington et Paris, était informé d’une opération secrète de soutien aux GAT-S au Sahel, ou y a participé. Mais une question demeure : pourquoi Andriy Yusov a-t-il fait ces déclarations ?

Les aveux de l’Ukraine : une opération psychologique au Mali ?

Les aveux Ukrainiens visent-ils un but précis ?

En principe, les opérations secrètes sur des théâtres d’opérations étrangers visent à atteindre des objectifs spécifiques, définis par le chef de l’État et le chef d’état-major, tout en dissimulant l’identité de l’agresseur ou la finalité de la mission.

Le recours à des acteurs intermédiaires qui prendront toutes les responsabilités à la place dudit agresseur est très souvent privilégié dans ce type de mission, puisque permet d’éviter les coûts humains et politiques en cas d’échec. C’est dans cette démarche que les Etats-Unis, le Pakistan et l’Arabie Saoudite ont financé, entraîné et armé les Moudjahidines Afghans, ou que la Russie emploi Wagner en Afrique et au Moyen-Orient.

Ainsi, en déclarant avoir contribué à la victoire de deux groupes terroristes et séparatistes contre le convoi FAMa-Wagner à Tinzaouatène, Andriy Yusov révèle au public des secrets d’État. Un comportement de facto suspect.

Si l’on tient également compte de toute l’argumentation faite jusqu’ici suggérant une subordination de l’appareil de défense ukrainien à l’OTAN, peut-on en déduire que l’intervention d’Andriy Yusov vise un but précis fixé par l’OTAN ?

Qu’est-ce qu’une PSYOP ?

D’après le Field Manual (FM) 3-5.301 du Département de la Défense (DoD) américain, et la Doctrine interalliée pour les opérations psychologiques 3.10.1 de l’OTAN, les opérations psychologiques (Psychological Operations – PSYOPs) sont des actions secrètes menées par un État ou une coalition d’États.

Elles consistent à diffuser des informations ciblées auprès de la population d’un État étranger, dans le but de provoquer une réaction émotionnelle qui entraînera un comportement souhaité, permettant ainsi d’atteindre des objectifs stratégiques définis.

Les groupes cibles sont généralement très spécifiques et peuvent être, par exemple, les généraux de l’état-major de l’État visé, ou la population masculine d’un groupe ethnique et d’une tranche d’âge donnée résidant dans une région précise et utilisant quotidiennement un réseau social spécifique.

Ces comportements suscités permettront à l’auteur du PSYOP d’atteindre des objectifs secondaires et primaires. Par exemple, inciter une tranche d’âge spécifique de la population d’un État A à exiger la destitution de son président, pousser les troupes d’un État B à capituler avant même le début d’une guerre, ou amener la population d’un État C à accepter la présence de forces militaires étrangères pourraient constituer des objectifs primaires. Pour les atteindre, les PSYOPs sont composés de plusieurs « produits » et « actions » psychologiques visant des objectifs secondaires.

Un produit psychologique fait référence à une information véhiculée au travers d’un moyen de communication. Il peut s’agir d’un rapport d’ONG, d’une déclaration d’un haut responsable, d’un article de presse, d’un film etc… Une action psychologique fait quant-à-elle référence à une action concrète. Cela peut être par exemple une lois, des sanctions économiques, un acte diplomatique, une campagne de bombardement, des tractes, des livres ou un évènement particulier.

Il faut plusieurs « produits » et « actions psychologiques » permettant d’atteindre des objectifs secondaires pour modifier un seul comportement (l’objectif principal). Il existe trois type de PSYOPs en fonction des objectifs primaires fixés :

Tactiques : les objectifs sont de court-terme contre des forces ennemis et en soutien à des opérations conduites par des unités tactiques (ex: forces spéciales).

Opérationnels : les objectifs sont de moyen-terme en soutien à des campagnes militaires régionales.

Stratégiques : les objectifs sont larges et de long terme. Ils visent à créer un environnement international favorable aux activités militaires, politiques, diplomatiques et économiques de l’Etat y ayant recours.

Les produits psychologiques disséminés peuvent être blancs (factuels et vérifiables), noirs (fake news) ou gris (mélange de fake-news et de faits établis).

Ainsi, le recours aux réseaux sociaux lors des « Révolutions de Maïdan », des « Révolutions colorées » et des « Printemps Arabes » évoqués plus haut est a comprendre dans le cadre d’opérations psychologiques.

Par conséquent, les propos d’Andriy Yusov et le poste Facebook de Yurii Pyvovarov, en apparences incohérents, semblent en réalité être des produits psychologiques. Cette thèse est confortée par le fait que le GUR semble déterminé à prouver son soutien au terrorisme international. Un comportement à priori irrationnel pour des services de renseignements.

La volonté du GUR de prouver son soutien au terrorisme international suggère une PSYOP

Après la fin de la Bataille de Tinzaouatène, les journaliste du Kyiv Post, média Ukrainien en langue anglaise, recevront plusieurs informations de sources du « secteur de la défense et de la sécurité ukrainienne » appuyant les propos d’Andriy Yusov.

Le 30 juillet, trois jours après Tinzaouatène, les journalistes recevront du GUR, des photos des CSP-DPA posants avec des drapeaux ukrainiens[49] Leo Chiu,  Wagner’s Defeat in Mali – What’s the Big Deal?, Kyiv Post, 30 juillet 2024,  https://www.kyivpost.com/post/36621 . Néanmoins, d’après Atlas News, cette photo a été prise le 10 juin 2024[50] Bianca Bridger, Fact Check: When Did Tuareg Rebels Tout the Ukraine Flag?, 29 juillet 2024, https://theatlasnews.co/latest/2024/07/29/fact-check-when-did-tuareg-rebels-tout-the-ukraine-flag/  .

D’autres articles du même journal suggèrent qu’en réalité, le soutien ukrainien au terrorisme ne se limite pas au Mali, mais s’étend aussi en Syrie et au Soudan. Toutefois, l’ensemble des révélations émanent de sources travaillant au sein du GUR…

En effet, le 30 janvier 2024, le Kyiv Post révèle avoir obtenu des « services spéciaux d’Ukraine » une vidéo issue d’un drone FPV lançant une attaque kamikaze contre un véhicule. Les journalistes suggèrent que l’attaque aurait tuée des mercenaires de Wagner et des « terroristes locaux ». Des sources au sein du GUR « confirmeront » l’implication de forces spéciales ukrainiennes[51] Kateryna Zakharchenko, Chris York, Ukrainian Drones ‘Destroy Russian Mercenaries’ in Sudan, Kyiv Post, 30 janvier 2024, https://www.kyivpost.com/post/27383  . En règle générale, tout Etat aurait nié toute implication…

Quelques jours plus tard, le 5 février 2024, le journal révèle avoir à nouveau reçu du GUR une vidéo montrant des forces spéciales ukrainiennes interroger des mercenaires de Wagner capturés au Soudan[52] Kateryna Zakharchenko, Alisa Orlova, EXCLUSIVE: Ukrainian Special Forces Interrogate Wagner Mercenaries in Sudan, Kyiv Post, 5 février 2024, https://www.kyivpost.com/post/27637 .

Enfin, le 3 juin 2024, le journal révèle avoir encore obtenu « de sources au sein de la Direction du Renseignement Ukrainien », des vidéos montrant qu’une unité des forces spéciales du GUR, nommé « Khimik », a attaquée les forces gouvernementales de Bashar-Al-Assad soutenues par Wagner en Syrie. Le tout, en collaboration avec « l’opposition Syrienne », autrement-dit, avec des groupes terroristes[53] Kateryna Zakharchenko, EXCLUSIVE VIDEO: Ukrainian Special Forces and Syrian Rebels Decimate Russian Mercenaries in Syria, 3 juin 2024, https://www.kyivpost.com/post/33695 .

L’ensemble de ces « révélations » dénotes une surprenante volonté du GUR à prouver son soutien au Terrorisme internationale, et à ternir son image. Toutefois, le manque de souveraineté ukrainienne en matière de défense discutée plus haut, et le caractère anormale de ce comportement suggère qu’il s’agit d’une psyop visant un ou des but(s) cohérent avec les intérêts atlantistes. Mais lesquels ?

Les objectifs psychologiques probables de l’OTAN

Selon John J Mearsheimer (2014), en 2014, l’OTAN avait pour but d’intégrer les voisins de la Russie, dont l’Ukraine, dans l’alliance outre-atlantique. Il est probable que son but ait été d’y installer des bases militaires et des ogives nucléaires pour pouvoir rapidement lancer une offensive contre Moscou en cas de guerre ouverte.

Cependant, dès la chute du bloc soviétique, la Russie a clairement et à plusieurs reprises averti qu’elle considérait l’expansion de l’Alliance vers l’Est comme une menace existentielle qu’elle ne tolèrerait pas[54]John J. Mearsheimer, Why the Ukraine Crisis Is the West’s Fault? The liberal delusions that provokes Putin, septembre/octobre 2014, … En savoir plus. De ce fait, la « Révolution orange » puis la « Révolution de maïdan » vont être perçues par le Kremlin comme des agressions qui envenimeront les relations Ukraine/OTAN-Russie jusqu’à l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Robert H. Wade (2022) suggère quant à lui que pour renverser Vladimir Poutine, la stratégie de Washington consistait à lui tendre un piège. Celui-ci était de forcer la Russie à attaquer l’Ukraine pour justifier des sanctions drastiques contre Moscou. Si maintenues assez longtemps, la population russe qui en souffrira le plus, sera incitée à renverser Poutine.

Mais la condition pour que ce plan fonctionne est en parallèle de faire enliser la Russie dans une guerre d’attrition avec l’Ukraine. Il s’agit donc, selon Robert H. Wade (2022), de mettre l’Ukraine sous perfusion d’aide militaire pour prolonger la guerre un maximum possible[55]Robert H Wade, Why the US and NATO have long waited for Russia to attack Ukraine ? 2022, London school of Economics (LSE) European Politics and Policy (EUROPP) Blog, p2, … En savoir plus.

Partant de ces analyses, et des données, l’OTAN aura tout intérêt à se cacher derrière l’Ukraine pour mener des opérations secrètes contre les intérêts russes dans le monde. Le contexte de Guerre en Ukraine pourrait justifier, d’un point de vu ukrainien de mener des opérations secrètes sur des théâtres étrangers, à condition qu’ils soient directement liés aux efforts de guerre russes en Ukraine. L’OTAN pourrait ainsi profiter de cette réalité pour inciter ou assiter l’Ukraine dans ce type d’opérations, lui permettant d’atteindre ses objectifs tout en limitant les risques.

Autrement-dit, si l’OTAN mène une guerre secrète contre les positions de Wagner en Afrique, elle aura tout intérêt à ce que l’Ukraine prenne tous les risques, et révèle ouvertement son soutien au terrorisme, puisque en principe « souverain », Washington, Paris et Berlin pourront nier toute implication.

Ceci expliquerait pourquoi le GUR tient tant à prouver son soutien au terrorisme à la « communauté internationale ». Si l’on suit cette logique, l’intervention d’Andriy Yusov et les « révélations » du Kyiv Post s’apparentent à des « produits psychologiques » visant des objectifs secondaires précis.

L’un d’eux pourrait être, comme argumenté ci-dessus, de masquer l’appuis en armes, en entrainement et en renseignements apporté par l’OTAN à la coalition CSP-JNIM/GSIM.

Un autre objectif pourrait être directement liés à la Guerre Ukraine/OTAN-Russie, puisque comme vu plus haut, quelques jours après la Bataille de Tinzaouatène, l’Ukraine va lancer une incursion de la région de Koursk, à la frontière ukrainienne, avec le « feu-vert »  de Berlin et de Washington[56]Joshua Posaner, Nette Nöstlinger and Connor O’Brien, Kyiv’s offensive gets a greenish light from its allies, 9 août 2024, … En savoir plus.

D’importantes unités de Wagner étant positionnées dans la région, le but des produits psychologiques disséminés immédiatement après Tinzaouatène était-il d’impacter leurs esprits combatifs avant l’incursion ?

Dans le même temps, les aveux ukrainiens ont assurément mis en état de choc les états-majors et gouvernements de l’AES. Un choc qui les a probablement temporairement paralysé, et les poussera à repenser leurs stratégies militaires. Cependant, cela nécessite du temps qui pourrait profiter aux GAT-S et à leurs soutiens.

Par ailleurs, Tinzaouatène permettra à l’OTAN de l’utiliser comme le symbole d’un « échec » de la politique de sécurisation du Mali. Un objectif qui est pourtant centrale à la légitimité du gouvernement de la transition. Ainsi, un échec devra conduire à un retour à l’ordre constitutionnelle, l’objectif clamé haut et fort par Paris et Washington depuis le coup d’Etat malien. Cette analyse est permise par les narratifs présentés par les médias proches de l’OTAN.

Des produits psychologiques contre le Mali ?

Un article publié le 5 août 2024 par l’Agence France Presse (AFP), intitulé « Le Mali rompt ses relations diplomatiques avec l’Ukraine » donne un récit biaisé des évènements qui ont conduit à la rupture des relations.

Le sous-titre explique : « Bamako accuse Kiev d’être impliqué dans une lourde défaite de l’armée malienne et du Groupe Wagner à la fin de juillet dans des combats contre des séparatistes et des djihadistes, dans le nord du pays. ».

L’article poursuit en affirmant :

« Le Mali, dirigé depuis 2020 par une junte, a décidé de la « rupture avec effet immédiat de ses relations diplomatiques avec l’Ukraine », a déclaré, dimanche 4 août, le Porte-parole du gouvernement, le colonel Abdoulaye Maïga.

Selon Bamako, un haut responsable ukrainien a avoué « l’implication » de Kiev dans une lourde défaite de l’armée malienne et du groupe paramilitaire russe Wagner à la fin de juillet, lors de combats avec les séparatistes et des djihadistes. »

Les termes « Accuse » et « Selon Bamako » présentent les accusations du gouvernement de la transition du Mali comme relevant uniquement de sa perception. Ils omettent également les faits objectifs, à s’avoir qu’il s’agit d’une réaction légitime aux propos tenus par le Porte-parole des services de renseignements ukrainiens, et à leurs diffusions sur le compte Facebook de l’Ambassadeur de l’Ukraine au Sénégal. Deux hauts représentants de l’Etat ukrainien.

Pire encore, ni Andriy Yusov ni le GUR ne sont présentés aux lecteurs. Cet article que l’on peut clairement identifier comme un « produit psychologique » vise à changer la responsabilité de la rupture diplomatique de camp.

Un autre narratif disséminé par l’OTAN, et en particulier Paris, semble être le fait que la transition du Mali multiplie les exactions contre les populations touaregs et non maliennes résidant au nord.

Par exemple, un article d’un autre média d’Etat français, Radio France Internationale (RFI), du 31 juillet 2024, intitulé « Mali : six civils tués dans des tirs de drone à Tinzaouatène après le revers subi par l’armée dans la région » s’appui sur des témoignages anonymes, dont d’« un élu », et affirme que les victimes étaient des civils de nationalité nigérienne, soudanaise et tchadienne[57]Mali: six civils tués dans des tirs de drone à Tinzaouatène après le revers subi par l’armée dans la région, RFI, 31 juillet 2024, … En savoir plus. L’article donne d’abord la version des faits du « Porte-parole du CSP ».

Selon lui, « les drones ont été envoyés soit par un pays voisin du Mali dirigé par une junte, comme le Burkina Faso ou le Niger, soit par les mercenaires russes et l’armée malienne qui ont voulu prendre leur revanche après le dernier revers subi à Tinzaouatène ».

L’article continue en se demandant : « S’agit-t-il d’une bavure ? ».  Puis cite « une source militaire malienne », sans préciser son nom ni son grade, qui aurait déclaré « nous menons des opérations de sécurisation dans la zone et ce sont des terroristes armés qui ont été visés et non des civils ».

Le prochain paragraphe commencera par la phrase : « Ces événements ont en tout cas fait fuir les civils qui étaient encore sur place. ». La phrase « En tout cas » semble exprimer les doutes du journaliste quant à la version donnée par la « source militaire malienne ».

Par ce procédé, RFI présente le CSP-DPA comme un interlocuteur respectable, fiable, voire légitime, et  n’interroge pas son biais. Par contre, RFI n’hésite pas à subtilement remettre en question la version de Bamako et suggère donc que l’un des Etats membre de l’AES a commis une « bavure » contre des civils non maliens.

Allant dans le même sens que la presse écrite française,  un communiqué du CSP-DPA du 1er août 2024 a déclaré, « […] le CSP-DPA tend sa main pour une collaboration dans tous les domaines, à tous ceux qui le désirent, […] le CSP-DPA invite le peuple frère du Mali à se soulever pour se débarasser de la junte qui pactise avec les diables pour se maintenir au pouvoir, conduisant inéluctablement le pays vers des abysses inconnus. » »» [58]Mohamed Elmaouloud Ramadane, @MohamedRAMADANE, Le CSP-DPA tient à préciser que ces affrontements qui ont opposé ses forces à cette coalition terroriste Fama/Wagner ont été menés exclusivement … En savoir plus.

Au regard du soutien dont le CSP a bénéficié de la part de l’OTAN, il est fort probable que la coopération se fasse également sur le plan informationnelle et psychologique. Et ici, les propos du Porte-parole du CSP indiquent une volonté de pousser la population à l’insurrection pour renverser le gouvernement de transition, et proclamer l’indépendance de l’Azawad.

L’article de RFI et les accusations du CSP, viennent s’ajouter à plusieurs rapports de Human Rights Watch (HRW), qui depuis 2021, accusent le Mali d’exactions contre les populations civiles touaregs et non-maliennes résidant au nord du Mali. Cependant, ces rapports reposent uniquement sur des témoignages et des interviews téléphoniques, parfois anonymes, et sans que des enquêtes de terrain ne soient menées, ni que des preuves matérielles ne soient collectées[59] Mali: Army, Wagner Group Atrocities Against Civilians, HRW, 28 mars 2024, https://www.hrw.org/news/2024/03/28/mali-army-wagner-group-atrocities-against-civilians . Ainsi, aucun élément objectif ne permet à l’heure actuelle d’accuser le Mali d’exactions.

De plus, rappelons que HRW fait face à de nombreuses critiques dû à une ligne éditoriale complaisante des intérêts occidentaux, à l’identité de certains de ses hauts cadres, et à une concentration quasi exclusive sur les adversaires de Washington.

Si l’on considère qu’il s’agit de produits psychologiques noirs de l’OTAN visant à discréditer le Mali pour mieux renverser Assimi Goïta, l’OTAN chercherait en théorie à consolider le narratif d’un nettoyage ethnique perpetré par Bamako en accumulant les produits et actions psychologiques. Que les accusations d’exactions soient infondées importe peu, car leur abondance finira par convaincre l’opinion publique occidentale, et une partie des populations africaines perméables aux PSYOPs occidentaux.

Ainsi, les articles de l’AFP et de RFI, les accusations du CSP-DPA et de HRW, si analysées collectivement, permettent d’identifier un PSYOP visant à rendre le combat du CSP-DPA légitime, et à délégitimer les autorités de la transition.

S’il atteint son objectif primaire, il pourrait conduire à une « guerre civile », avec un camp « légitime » protégeant les populations civils touaregs et non-maliennes, que l’OTAN soutiendra (le CSP-DPA discrètement soutenu par le JNIM), et un camp « illégitime » issue d’un coup d’Etat, aux aspirations génocidaires.

Des modes opératoires similaires ont permis aux Etats-Unis, à la France et à l’OTAN de renverser le Colonel Kadhafi, Laurent Gbagbo et bon nombre de chefs d’Etats, y compris en Ukraine en 2014.

Néanmoins, si le PSYOP mené contre le Mali et l’AES fonctionne, non seulement les gouvernements de transitions risquent de tomber, mais comme à l’issue de la Guerre civile Libyenne de 2011, d’importants stocks d’armes gouvernementales tomberont aux mains des GAT-S qui répandront d’avantage le chaos dans toute l’Afrique.

Conclusions

La Bataille de Tinzaouatène marque un tournant décisif, car elle permet d’identifier les soutiens au terrorisme dénoncés par le Mali, le Burkina Faso et le Niger depuis les coups d’État. En effet, l’analyse de cette bataille, de la stratégie de communication ukrainienne et des capacités limitées de l’Ukraine en matière de défense et de renseignement suggère un soutien de l’OTAN au terrorisme dans la sous-région.

L’article montre ainsi que l’OTAN, déjà largement responsable de la déstabilisation du Sahel à la suite de sa politique de changement de régime en Libye, surenchérit en soutenant le terrorisme dans cette zone. Cette politique, qui vise à saper les intérêts russes et à renverser les chefs d’État de l’AES, représente un danger non seulement pour les États ciblés, mais pour l’ensemble du continent africain.

Alors que la crise était initialement limitée au Mali de 2012 à 2015, elle s’est rapidement étendue au Burkina Faso et au Niger. Aujourd’hui, le Togo, le Bénin et la Côte d’Ivoire commencent à subir les conséquences des conspirations de l’OTAN. Il devient donc urgent pour l’Afrique de stopper cette hémorragie en adoptant des stratégies collectives d’autodéfense et en soutenant activement l’AES.

Enfin, si l’OTAN persiste dans cette voie, elle finira par importer ces guerres dans ses propres capitales et se retrouver face à une menace existentielle. La récente incursion de Koursk, par exemple, pourrait rapprocher le conflit Est-Ouest d’un point de non-retour, nous plaçant plus près que jamais d’une guerre nucléaire.

Recommandations

Appuyer la plainte du Mali au Conseil de Sécurité de l’ONU

Tout gouvernement se réclamant du panafricanisme, soucieux de garantir son intégrité territoriale et partageant une frontière avec un État membre de l’AES ou avec le Soudan, devrait demander publiquement des comptes à l’Ukraine et à l’OTAN, en exigeant une enquête pour faire toute la lumière sur cette affaire.

Appuyer la plainte des États membres de l’AES contre l’Ukraine au Conseil de sécurité de l’ONU devrait également être un minimum. Bien qu’il soit certain qu’elle n’aboutira pas, compte tenu du fonctionnement de l’ONU, elle permettra d’attirer l’attention de l’opinion internationale, en particulier celle des États du Sud global.

Cette initiative renforcera aussi les débats sur l’urgence de réformer le système onusien, qui empêche de tenir une puissance responsable de ses actes, notamment dans le contexte du génocide du peuple palestinien. Enfin, une collaboration militaire sera nécessaire pour sécuriser l’Afrique de l’Ouest, seul moyen d’empêcher la propagation des GAT-S soutenus par l’OTAN.

Que peuvent faire les Etats de l’AES ?

Comme mentionné précédemment, la Syrie et le Soudan ont été victimes d’ingérences similaires de l’Ukraine et de l’OTAN. En médiatisant ces affaires et en fournissant à la presse nationale ainsi qu’à celle des États du Sud global des renseignements classifiés accablants, il sera possible pour les victimes de telles ingérences de se rapprocher des autorités de l’AES et d’échanger.

Cela mènera à de nouveaux partenariats de défense et à des échanges de renseignements bénéfiques pour chaque partie. Le Soudan, la Syrie, l’Iran, le Venezuela, Cuba, la Colombie, la République centrafricaine, la Chine, la Palestine, ainsi que d’autres pays, pourraient alors se rapprocher des États de l’AES.

Le Mali et les Etats membres de l’AES ont intérêt à être plus transparents

Le gouvernement de transition du Mali et les FAMa doivent rester vigilants quant aux informations qu’ils divulguent à la presse, qu’il s’agisse de victoires ou de défaites militaires. Si le contrôle de l’information est un enjeu majeur en période de guerre, les PSYOPs occidentaux exploiteront chaque faille pour inciter la population à l’insurrection ou à accepter l’idée d’une guerre civile.

La meilleure tactique anti-PSYOP repose sur une transparence totale appuyée par des preuves et des données irréfutables. En renforçant cette transparence, les États de l’AES gagneront davantage la confiance des populations locales, notamment celles marginalisées qui peuvent percevoir des omissions dans certains communiqués.

Une transparence totale permettra également aux populations des États membres de l’OTAN d’éviter la désinformation de leurs gouvernements et de s’opposer à tout soutien au terrorisme fait en leur nom au Sahel.

Cependant, il est crucial de développer des capacités satellitaires et de renforcer la presse écrite pour diffuser à travers le monde, et dans plusieurs langues, les informations émanant des états-majors. Il sera donc nécessaire d’augmenter les budgets des journaux détenus par l’État et d’investir dans des projets spatiaux pour acquérir une télévision satelite.

Développer des capacités de communication et de surveillance satellitaires autonomes

Il est aujourd’hui primordial pour la défense de tout État de développer des programmes spatiaux et d’acquérir des satellites militaires. Cela permettra une plus grande autonomie opérationnelle, un meilleur contrôle des territoires et une amélioration de la qualité des renseignements. À cette fin, coopérer avec la Russie ou la Chine pour développer des capacités autonomes sera nécessaire. Une fois ces capacités développées et le savoir-faire acquis, les États membres de l’AES pourront renforcer leur autonomie.

Enquêter sur les PSYOP au Mali, au Burkina Faso et au Niger

Dans la lutte contre les PSYOPs, il sera nécessaire d’étudier en profondeur le rôle joué par chaque ONG étrangère et média opérant au Sahel, en particulier celles impliquées dans les exemples précédemment évoqués ou entretenant des relations avec elles.

Les comptes véhiculant les produits psychologiques de l’OTAN sur les réseaux sociaux devront également être identifiés et signalés à l’opinion publique par un commandement spécialisé rattaché aux forces conjointes de l’AES.

Cependant, il est impératif que ces actions soient menées au travers d’enquêtes rigoureuses, respectant des normes et procédures strictes, afin d’éviter toute dérive vers une chasse aux sorcières ou la répression d’opposants politiques.

 

NDIAYE Karim Babacar

Diplômé d’un Master II en Relation Internationales de la National Chengchi University, (Taipei, Taiwan), Karim est spécialisé dans l’analyse des transitions démocratiques, des conflits armés et de la sécurité internationale.