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Mali : 49 soldats Ivoiriens arrêtés, le début d’un scandale onusien ?

Résumé : Le 10 juillet dernier 49 soldats ivoiriens ont été arrêté à l’aéroport International Président Modibo Keita-Senou de Bamako (Mali).  En s’appuyant sur les provisions de la convention DFPKO/DFS National Support Element (NSE), l’article suggère que l’arrestation des 49 soldats était justifiée.

De plus, depuis 2019, sept rotations ivoiriennes affectées à la sécurisation de bases logistiques de la compagnie aérienne allemande Sahel Aviation Service, opèrent illégalement au Mali pour les mêmes raisons. Et ce, avec la complicité de la précédente administration malienne.

Cependant, dans l’état, il convient d’ouvrir une enquête afin de déterminer si l’on peut qualifier les militaires ivoiriens de mercenaires au vu des provisions de la convention de l’organisation de l’Union Africaine (OUA) sur l’élimination du mercenariat en Afrique. Par ailleurs, de 2012 à 2022, aucun contrat signé entre la compagnie aérienne allemande, la Côte d’Ivoire et/ou la Minusma n’est recensé.

En revanche, deux contrats signés le 19 août 2021 entre l’entreprise allemande et la mission d’assistance des Nations unies pour l’Irak – MANUI/UNAMI, pour des transports logistiques sur le territoire malien ont été identifiés. La légalité de ces contrats et la possible implication de l’Allemagne interrogent et doivent alerter les autorités maliennes et les Etats membres de l’ONU sur le fonctionnement des missions de Peacekeeping.

Mots-clés : Mali, Minusma, 49 soldats ivoiriens arrêtés, Bamako, ONU, Aéroport International Président Modibo Keïta-Senou, Côte d’Ivoire, Forces spéciales, National Support Element, NSE, élément de soutien national, Contingent, Allemagne, Sahel Aviation Service, UNAMI, UNPD 

Siège du gouvernement malien
Bamako, Mali: siège du gouvernement malien

L’incident diplomatique : l’arrestation au Mali de 49 soldats ivoiriens

Le 10 juillet 2022, 49 militaires ivoiriens en provenance de Côte d’Ivoire ont été arrêtés à l’aéroport international Président Modibo Keita-Senou. Ils sont arrivés à bord d’un avion et dans l’autre des armes de guerre, des munitions et d’autres équipements militaires ont été saisies. Cette affaire ayant généré un incident diplomatique grave entre la République de Côte d’Ivoire, la République du Mali, les autorités onusiennes et les autorités allemandes. Revenons sur cet incident[1]« Ivory Coast demands release of soldiers arrested in Mali », DW, 12 juillet 2022, https://www.dw.com/en/ivory-coast-demands-release-of-soldiers-arrested-in-mali/a-62452210 ; Jaysim Hanspal, … En savoir plus.

Dans son communiqué n°34 du 11 juillet 2022, présenté par le Colonel Abdoulaye Maïga, porte-parole du gouvernement du Mali et publié sur les réseaux sociaux, les autorités de la transition malienne ont affirmé que trois constats, lors du contrôle d’identité des 49 soldats ivoiriens à leur arrivé à l’aéroport, ont poussé à les retenir [2]Ministère des Affaires étrangères du Mali, « Communiqué No 34 du Gouvernement de la transition relatif à l’interpellation de quarante-neuf (49) militaires ivoiriens se trouvant … En savoir plus.

  1. La possession d’armes de guerre de la part d’une trentaine de forces spéciales sans ordre de mission ni autorisation
  2. La dissimulation des professions réelles des militaires. Les autorités maliennes affirment que sur la majorité des passeports, les métiers suivants étaient inscrits : étudiant, chauffeur, maçon, mécanicien, vendeuse, électricien, vigile, peintre etc…
  3. Après des interrogatoires, quatre versions différentes ont été avancées par les militaires ivoiriens quant aux raisons de leur visite au Mali, notamment ; une mission confidentielle, une rotation dans le cadre des activités de la Minusma, la sécurisation de la base logistique de la compagnie aérienne « Sahelian aviation services » et la protection du contingent allemand de la Minusma. À ce titre, les autorités maliennes affirment avoir immédiatement contacté les autorités Ivoiriennes qui à prime abord, n’étaient pas au courant d’un tel déploiement d’après le communiqué. Également d’après le communiqué, les autorités de la mission multidimensionnelle intégrée des nations unies pour la stabilisation au mali (MINUSMA) ont à leurs tours été contacté par les autorité maliennes et ont, au départ, nié l’existence de rotation prévue au 10 juillet 2022.

À la suite de ces consultations, et à l’égard des définitions apportées par la convention de l’organisation de l’Union Africaine (OUA) sur l’élimination du mercenariat en Afrique, les autorités maliennes ont qualifié les 49 soldats ivoiriens de « mercenaires ». Les 49 militaires ivoiriens ont donc été considéré comme hostiles, suggérant par ailleurs, une potentielle tentative de coup d’état.

Les autorités maliennes ont par la suite pris la décision de faire arrêter ces 49 individus pour plusieurs motifs juridiques énumérés dans le communiqué n°34, dont le mercenariat.

Par ailleurs, dans le communiqué n°34 du gouvernement, les autorités maliennes ont déclaré que les militaires étrangers affectés à la sécurité de l’entreprise allemande « Sahelian Aviation Services » ont également été sommés de quitter le territoire sur le champ, et la sécurité de l’entreprise sera dorénavant garantie par les forces armées maliennes.

Le 12 juillet, les autorités ivoiriennes ont, au moyen d’un communiqué, affirmé que les 49 soldats ont été déployés dans le cadre des activités de la Minusma, suite à la signature en 2019 d’une convention entre la Côte d’Ivoire et l’ONU, ainsi que d’un contrat de sécurisation et de soutien logistique signé entre la Côte d’Ivoire et la société Allemande « Sahel Aviation Service » permettant le déploiement d’éléments nationaux de soutien (National support Element – NSE).

Ainsi, il s’agissait de la huitième rotation (c’est-à-dire le remplacement routinier du personnel) ivoirienne dans ce contexte. Des militaires ivoiriens étaient donc déjà sur la base logistique de la société allemande et sept rotations ont eu lieues sans écueils avant cette affaire d’après les autorités ivoiriennes[3]République de Côte d’Ivoire, « communiqué du Conseil National de Sécurité du gouvernement ivoirien daté du 12 juillet, relatif à l’arrestation lundi à Bamako, de 49 militaires en … En savoir plus.

« En effet, en vertu d’une convention signée, en juillet 2019, entre la Côte d’Ivoire et l’Organisation des Nations Unies, et conformément à un contrat de sécurisation et de soutien logistique signé avec la Société Sahel Aviation Service (SAS), des militaires ivoiriens sont présents à l’Aéroport de Bamako. Depuis cette date, 7 contingents se sont relayés périodiquement sur ce site, sans aucune difficulté. »

Une source diplomatique ivoirienne et un cadre de l’entreprise allemande « Sahel Aviation Service » auraient confirmé à l’Agence France-Presse (AFP) qu’une partie des 49 militaires auraient été déployés, dans le cadre desdits convention et contrat[4]« Mali: Différend autour de 49 NSE, signe de la persistance de frictions entre la MINUSMA et ses hôtes », Agence France-Presse, 12 juillet 2022, … En savoir plus.

En effet, les éléments de soutiens nationaux (NSE) sont des militaires effectuant des opérations de soutiens aux troupes nationales composant les missions militaires et policières onusiennes, mais ne sont pas comptabilisé dans les effectifs de la Minusma. En conséquence, les autorités ivoiriennes ont appelé les autorités maliennes à relâcher immédiatement les militaires arrêtés[5] « Ivory Coast demands release of soldiers arrested in Mali », DW, 12 juillet 2022, https://www.dw.com/en/ivory-coast-demands-release-of-soldiers-arrested-in-mali/a-62452210 .

Dans un premier temps, le 11 juillet, le porte-parole de la Minusma, dans un tweet, a confirmé cette affirmation d’Abidjan en ajoutant que les autorités ivoiriennes auraient préalablement communiqué l’arrivé des 49 militaires ivoiriens aux autorités maliennes[6]Olivier Salgado, @olivier_salgado, « D’après nos informations, leur relève du 10 juillet aurait été préalablement communiquée aux autorités nationales. 2/6 », Twitter, 11 juillet 2022, … En savoir plus.

Le Colonel Guézoa Mahi Armand, conseiller aux opérations extérieures du chef d’état-major général des armées, aurait également déclaré aux journalistes que[7]« Pour l’ONU, les soldats ivoiriens à Bamako ne faisaient pas partie de la Minusma, Abidjan insiste », RFI, 14 juillet 2022, … En savoir plus :

« Le MOU signé avec l’ONU nous autorise à détenir des armes, pour nous protéger et protéger les installations qui nous abritent, et je vous rappelle quand même qu’il s’agit des terroristes au Mali. Le transport de ce matériel a été effectué conformément à la réglementation, soit un avion pour le personnel et un autre pour les armements et munitions. Ils n’ont donc pas débarqué avec des armes en mains et, habillés en uniformes, ils n’ont nullement caché leur identité. Toute cette polémique ne devrait donc pas avoir lieu. »

Cependant, jeudi 14 juillet, après recoupement des informations, Fahran Faq, porte-parole des Nations unies, a contredit les affirmations du porte-parole de la Minusma en déclarant que[8]« Pour l’ONU, les soldats ivoiriens à Bamako ne faisaient pas partie de la Minusma, Abidjan insiste », RFI, 14 juillet 2022 … En savoir plus

« Les troupes ivoiriennes n’appartiennent pas aux forces de la Minusma. Une requête de la Côte d’Ivoire, pour déployer des éléments nationaux de soutien, a été approuvée en 2019. Cependant, aucune troupe n’a été déployée sous cette convention depuis ce moment-là. Nous encourageons vivement les deux pays à travailler ensemble pour résoudre la situation et permettre la libération des troupes détenues. »

Les sept rotations ivoiriennes mentionnées plus haut, ainsi que les 49 militaires arrêtés ne sont donc, ni encadrés par la convention NSE évoquée plus haut, ni accrédités par la Minusma. Ainsi, aucun cadre juridique ne permet aux militaires ivoiriens n’étant pas de la Minusma d’entrer sur le territoire malien armé et d’y effectuer des missions.

En réponse à cette déclaration, et invoquant le « contexte de sécurité nationale », le Mali a fini par suspendre les rotations et par suspendre la liberté de circulation de la Minusma sur son territoire[9]« Mali : les autorités suspendent les rotations militaires de la Minusma », Agence France-Presse, 14 juillet 2022, … En savoir plus.

En effet, les troupes de la Minusma et les NSE affiliés, pouvant circuler librement sur tout le territoire dans le cadre de leurs opérations, et au vu de l’affaire des 49 soldats ivoiriens ayant révélé des carences administratives et la présence de militaires étrangers sur le territoire n’étant pas encadrés juridiquement, cette décision a été appliqué afin de « réunir les conditions propices à la levée de cette mesure », ou autrement dit, remettre de l’ordre[10]« Mali : les autorités suspendent les rotations militaires de la Minusma », Agence France-Presse, 14 juillet 2022, … En savoir plus.

Les autorités de la transition malienne ont affirmé que cette décision s’applique jusqu’à l’organisation d’une réunion pour « faciliter la coordination et la réglementation » à laquelle chaque partie prenante sera convié[11]« Mali : les autorités suspendent les rotations militaires de la Minusma », Agence France-Presse, 14 juillet 2022, … En savoir plus.

Suite à la visite Robert Dussey, Ministre des Affaires étrangères, de l’Intégration régionale et des Togolais de l’Extérieur, à Bamako le 18 juillet 2022, le président de la transition du Mali, Assimi Goïta, s’est dit prêt à trouver une issue pacifique, y compris par voies diplomatiques de cette affaire[12]Ministère des Affaires 2trangères du Mali, @MaliMaeci, « Communiqué conjoint issu de la visite de travail et d’amitié de S.E. Prof. Robert DUSSEY, Ministre des Affaires étrangères, de … En savoir plus.

Cependant, le 20 juillet 2022, le Procureur Général Malien a annoncé l’ouverture d’une enquête, et le même jour, le Ministère des Affaires étrangères et de la coopération internationale du Mali a publié un communiqué dans lequel il somme le porte-parole de la Minusma, Olivier Salgado à quitter le territoire national sous 72 heures.

Cette décision fait suite à une série de tweets de l’intéressé, jugés mensongers par les autorités maliennes, dont l’affirmation selon laquelle les autorités ivoiriennes auraient préalablement à l’arrivée des 49 soldats ivoiriens, notifiés les autorités maliennes de leurs arrivés[13]Olivier Salgado, @olivier_salgado, « Les soldats interpellés hier dimanche à l’aéroport de #Bamako ne font pas partie de l’un des contingents de la #MINUSMA. Ces soldats sont déployés … En savoir plus.

En parallèle, le 14 juillet 2022, la ministre allemande de la Défense, Christine Lambrecht, a appelé les autorités maliennes à relâcher les 49 soldats ivoiriens immédiatement et a remis en question la volonté du Mali à coopérer de manière constructive avec la Minusma. Et ce, malgré la déclaration du porte-parole de l’ONU, Farah Faq, survenue le jour même.

Aussi survenu le 14 juillet, le ministère de la Défense allemand a déclaré à l’Agence de presse allemande (DPA), que huit (8) soldats du contingent allemand de la Minusma ont été bloqués à l’aéroport international de Bamako. Ils n’auraient pas présenté tous les documents nécessaires à leur embarcation[14]Mamadou Makadji, « Mali : 8 soldats du contingent allemand empêchés de quitter le pays », Maliactu, 17 juillet 2022,  … En savoir plus. Si les autorités allemandes ont crié au « harcèlement », aucune information complémentaire n’a été communiquée par les autorités des deux Etats à propos des huit soldats allemands.

Si l’attention des médias et des gouvernements porte uniquement sur l’arrestation des 49 soldats ivoiriens, une multitude de questions émerge suite à cette succession d’incidents diplomatiques.

Est-ce que l’affaire des 49 soldats ivoiriens est le résultat de cafouillages administratifs et communicationnelles entre les parties prenantes ? Pourquoi, d’un point de vue juridique, les militaires ivoiriens ne peuvent pas être considérés comme NSE comme suggéré par le porte-parole de l’ONU ? Sur quelles bases juridiques se fonde la qualification de « mercenaires » faite par le Mali ? Avaient-ils un agenda « funeste » comme déclaré par les autorités maliennes ? Quel rôle l’entreprise allemande Sahel Aviation Service a joué dans cette affaire ? Et enfin, malgré les déclarations du porte-parole de l’ONU désavouant les 49 soldats Ivoiriens, pourquoi les autorités allemandes semblent-elles si impliquées dans cette affaire ?

Revenons sur les définitions des NSE et du mercenariat avant d’analyser le rôle joué par l’entreprise allemande « Sahel Aviation Service » (SAS) dans cette affaire.

Pourquoi les militaires Ivoiriens ne sont pas considérés comme des éléments de soutien nationaux (National Support Element – NSE) ?

Le 30 décembre 2015, le Département des Opérations de Maintien de la Paix (Department of Peacekeeping Operations, DPKO), et le Département de Support de Terrain (Department of Field support, DFS) de l’ONU ont publié un document juridique permettant d’encadrer le déploiement des éléments de soutien nationaux (National Support Element – NSE)[15]Department of Peacekeeping Operations, Department of Field Support, Policy, DPKO/DFS, National Support Element, Ref 2015.17, United Nations, 30 décembre 2015, … En savoir plus.

Le paragraphe 4 du chapitre D1 prévoit qu’au moment du Planning du DKPO et du DFS, l’Etat contributeur aux missions de maintien de la paix, doit faire une demande préalable auprès du Secrétaire Générale de l’ONU et attendre une permission pour pouvoir déployer des NSE dans le territoire de l’Etat hôte de la mission onusienne.

Le paragraphe 5 du même chapitre prévoit que les NSE doivent se limiter à un soutien administratif et logistique aux missions onusiennes et ne peuvent participer à des opérations militaires mandatées par le Conseil de Sécurité (donc aux opérations militaires et policières des contingents nationales de la Minusma).

Le paragraphe 8(b) du chapitre D2, prévoit que le contingent NSE ne doit pas dépasser 50 personnels, à moins que cet excédent ne soit argumenté par l’état membre et préalablement approuvé par le Sous-secrétaire Général des Nations Unies (Under-secretaries General – USG), par le DPKO et le DFS. Ce paragraphe expliquerait le nombre de militaires ivoiriens arrêtés (49).

Le paragraphe 9 (a à j) du chapitre D3 définit les missions du NSE. Celles-ci se limitent à :

  1. L’installation, l’opération et le maintien de liens de communications entre l’Etat contributeur, le contingent et le NSE.
  2. Le management logistique pour le déploiement, la répartition territoriale des troupes, les rotations, les départs, et d’autres obligations liées aux déplacements.
  3. Surveille l’équipement du contingent (Contingent Owned Equipment – COE) et est autonome au regard de l’inventaire, des remboursements et du remplacement des COE, ainsi que des rapports en lien avec les COE.
  4. Apporte des services postaux.
  5. Apporte des services de paiement, y compris l’échange de devise
  6. Gère les visites nationales approuvées préalablement par les autorités de la mission et par le quartier général des Nations Unies dans le lieu de mission.
  7. Coordonne le support logistique national, comprenant des niveaux de maintenance et de management des stocks de réserves de COE avancés.
  8. Apporte un soutien administratif national complémentaire, dont les actions disciplinaires.
  9. Apporte un soutien pour assurer le bien-être des troupes nationales
  10. Effectue d’autres tâches tombant sous la définition des NSE et comme convenue par le quartier Générale de l’ONU.

Ainsi, en aucun cas, les NSE ne sont supposés participer aux opérations militaires, ils n’apportent qu’un soutien logistique, administratif, communicationnelle, d’inventaire, et participent au bien-être des contingents militaire et policier nationaux de l’Etat contributeur affectés à la Minusma.

Par exemple, le NSE allemand n’est mandaté que pour un soutien comme défini par le paragraphe 9 (a à j), au personnel allemand de la Minusma (policier et militaire), et n’est pas compétent pour apporter un soutien à un contingent d’un autre Etat contributeur ou à une autre entité.

Le paragraphe 10 du chapitre D4, considère les NSE comme des parties intégrantes des contingents militaires ou policier de l’Etat contributeur. À ce titre, les membres du NSE bénéficient du même statut juridique que les contingents militaires ou policier qu’ils viennent assister.

Ils bénéficient donc des mêmes privilèges comme définis par l’accord bilatéral sur le statut des forces armées et par le Memorandum of Understanding (MOU), qui est un accord signé entre les deux parties avant le déploiement des forces armés et des NSE.

Le paragraphe 11 du même chapitre donne la jurisprudence (le droit de juger) à l’Etat contributeur dans le cas où des crimes sur le territoire de l’Etat hôte seraient commis par les militaires du NSE. Le paragraphe 21 du chapitre D4 autorise le port d’armes du personnel du NSE, mais uniquement à des fins d’auto-défense.

Ainsi, au regard des provisions du « DPKO/DFS National Support Element », il est probable que les autorités ivoiriennes n’aient pas fait de demande de déploiement auprès du Secrétaire Générale de l’ONU avant chaque rotation, ou n’ait pas reçu de confirmation écrite de la part du SG conformément au paragraphe 4 du chapitre D1. Ainsi expliquant la déclaration du porte-parole de l’ONU du 14 juillet 2022.

À cet égard, ce manquement empêche les 49 militaires Ivoiriens d’être qualifiés de NSE. Pour autant, peut-on qualifier les militaires de mercenaires ?

Les autorités du Mali ont-elles raisons de qualifier les militaires Ivoiriens de mercenaires ?

La convention pour l’élimination du mercenariat en Afrique de l’organisation de l’Union Africaine (OUA) signé à Libreville le 3 juillet 1977 et entré en vigueur le 22 avril 1985, apporte une définition du mercenariat. Étant la base juridique sur laquelle se base les autorités maliennes pour qualifier les 49 soldats ivoiriens de « mercenaires », il convient de revenir sur la convention[16]Organisation de l’Unité Africaine, Convention pour l’élimination du mercenariat en Afrique de l’organisation de l’Union Africaine (OUA), Libreville, 3 juillet 1977, consulté le lundi 18 … En savoir plus.

Ratifié le 25 septembre 1978 par le Mali, et uniquement signé par la Côte d’Ivoire le 27 février 2004, cette convention apporte des obligations légales que les Etats membres doivent respecter pour éliminer le mercenariat. En revanche, n’ayant pas ratifié la convention, la Côte d’Ivoire n’est pas légalement obligée de respecter ses provisions[17]Union Africaine, Liste des pays qui ont signé, ratifié/adhéré à la convention de l’OAU pour l’élimination du mercenariat en Afrique, 15 juin 2017, Addis Ababa, Ethiopie, Union … En savoir plus.

L’article 1er apporte une définition d’un « mercenaire ». Le terme désigne toute personne qui :

  1. Est spécialement recrutée dans le pays ou à l’étranger pour combattre dans un conflit armé ;
  2. Qui prend une part directe aux hostilités ;
  3. Qui prend part aux hostilités en vue d’obtenir un avantage personnel et à laquelle est effectivement promise, par une Partie au conflit ou en son nom, une rémunération matérielle ;
  4. Qui n’est ni ressortissant d’une Partie au conflit, ni résident du territoire contrôlé par une Partie au conflit ;
  5. Qui n’est pas membre des forces armées d’une Partie au conflit ; et
  6. Qui n’a pas été envoyée par un Etat autre qu’une Partie au conflit en mission officielle en tant que membre des forces armées dudit Etat.

En lien avec cette définition, le paragraphe 2 de l’article 1er ajoute que toute personne, groupe d’individus ou association, représentants de l’Etat ou l’Etat lui-même commettant les actes suivant dans le but d’opposer la violence armée à un processus d’autodétermination à la stabilité ou à l’intégrité territoriale d’un autre Etat, commet le crime de mercenariat. Les actes visés sont :

  1. Abriter, organiser financer, assister, équiper, entraîner, promouvoir, soutenir ou employer de quelque façon que ce soit des bandes de mercenaires ;
  2. S’enrôler, s’engager ou tenter de s’engager dans lesdites bandes ;
  3. Permettre que dans les territoires soumis à sa souveraineté ou dans tout autre lieu sous son contrôle, se développent les activités mentionnées dans l’alinéa (a) ou accorder des facilités de transit, transport ou autre opération de bandes susmentionnées.

Le paragraphe 3 du même article ajoute que, toute personne physique, morale qui commet le crime de mercenariat tel que défini par le paragraphe 1 de l’article 1er, commet le crime contre la paix et la sécurité en Afrique et est punie comme tel.

L’article 2 prévoit que le fait d’assumer le commandement de mercenaires ou de leur donner des ordres est une circonstance aggravante. L’article 3 ajoute quant à lui que les mercenaires n’ont pas le statut de combattants et ne peuvent bénéficier du statut de prisonnier de guerre.

Au regard des précédents articles, l’article 4 prévoit qu’un mercenaire doit répondre pénalement du crime de mercenariat et de toute infraction connexe.

Sur la responsabilité de l’Etat et de ses représentants, l’article 5(1) prévoit que lorsqu’un représentant d’un Etat est responsable d’un acte, ou d’une omission considérée comme criminelle par la convention, il sera puni en raison de cet acte ou de cette omission.

Le paragraphe 2 du même article ajoute que lorsqu’un Etat est responsable d’un crime de mercenariat, tout autre partie à la convention peut invoquer les dispositions de la convention dans ses relations avec l’Etat accusé et devant les organisations, tribunaux ou instances internationales ou de l’OUA.

L’article 6 prévoit que les États partis à la Convention s’engagent à prendre toutes les mesures nécessaires à l’élimination du mercenariat sur le Continent. Pour cela, les Etats partis s’engagent à :

  1. Empêcher que ses nationaux ou des étrangers se trouvant sur son territoire commettent l’une des infractions prévues à l’article 1er de la convention ;
  2. Empêcher l’entrée ou le passage sur son territoire de tout mercenaire et de tout équipement qui lui est destiné ;
  3. Interdire sur son territoire toute activité d’organisations ou d’individus qui utilisent les mercenaires contre un Etat africain, membre de l’OUA, ou contre des peuples africains en lutte pour leur libération ;
  4. Communiquer aux autres membres de l’OUA, soit directement, soit via le secrétaire général de l’OUA, toute information relative aux activités des mercenaires ;
  5. Interdire sur son territoire le recrutement l’entraînement, l’équipement ou le financement de mercenaires et toutes autres formes d’activités susceptibles de favoriser le mercenariat ;

Enfin, l’article 8 prévoit que chaque Etat contractant doit prendre les mesures nécessaires pour punir tout mercenaire ou groupe de mercenaire sur son territoire s’il n’extrade pas vers l’Etat contre lequel l’infraction a été commise.

Ainsi, à l’égard des prévisions de l’article 1er de la convention de l’OUA pour éradiquer le mercenariat, les 49 soldats ivoiriens peuvent-ils être considérés comme des mercenaires ? La question n’est pas si simple.

En effet, la Côte d’Ivoire, engagée en tant qu’Etat contributeur aux efforts onusiens de maintien de la paix au Mali, ne peut pas être considéré comme « partie au conflit ». L’État Ivoirien n’est pas lui-même en conflit avec les groupes séparatistes et terroristes sévissant au Mali. Les parties au conflit sont donc les groupes séparatistes maliens et les groupes terroristes occupant le territoire, et l’Etat malien. Selon ce postulat, le point (c) de l’article 1er définissant le mercenariat pourrait ne pas être valide.

Les militaires ivoiriens n’ayant aucun statut juridique justifiant leur présence et donc ne pouvant être considérés en mission officielle et la possession d’armes de guerre, permettrai de valider les points a, d, e et f de l’article 1er définissant le mercenariat.

Au regard d’une participation aux hostilités des 49 militaires comme prévu au point (b) de l’article 1er, ayant été arrêtés avant une participation avérée aux hostilités, l’on peut argumenter l’invalidité de ce critère. Si la présence des armes, et des matériels de guerre dans le second avion, en soit, permet d’argumenter « l’intention » de participer aux hostilités, le point (b), « qui prend une part directe aux hostilités » ne régule pas « l’intention », mais bien une participation de fait.

En revanche, le critère (b) pourrait être valide pour les militaires Ivoiriens déjà présents sur le territoire malien et ceux présents lors des précédentes rotations.

En outre, l’on ne connaît pas le montant de la rémunération des 49 soldats Ivoiriens ni l’organisme rémunérateur. Dans le cas où la rémunération des soldats ivoiriens émanerait du ministère de la Défense Ivoirien et serait nettement supérieure à celle perçue normalement par les militaires ivoiriens en mission à l’étranger, alors, il pourrait être argumenté que le critère (c) est partiellement valide. Cependant, la Côte d’Ivoire n’étant pas considérée comme « partie au conflit », le point (c) resterait invalide.

Toutefois, si l’entité rémunératrice est l’entreprise Sahel Aviation Service, et non le ministère de la Défense Ivoirien, alors les arguments visant à valider le point (c) pourraient tenir, à condition qu’il existe des preuves matérielles d’une promesse de rémunération supérieure aux rémunérations d’usage, et que les activités de l’entreprise permettent de la qualifiée comme « partie au conflit ».

La syntaxe de l’article suggérant que toutes les dispositions de l’article 1er doivent être réunies pour qualifier un individu de « mercenaire », il n’est pas possible en l’état d’affirmer ou d’infirmer que les soldats ivoiriens envoyés au Mali depuis 2019, conformément à la convention de l’OUA, soient des « mercenaires ». Il convient donc d’identifier les montants des rémunérations au travers d’une enquête judiciaire, et d’établir s’il y a eu ou non une participation des « pseudos NSE » Ivoiriens aux hostilités.

Toutefois, nonobstant la qualification des militaires ivoiriens, le simple fait que des militaires étrangers, avec aucune autorisation officielle, soient chargés de sécuriser les activités d’une entreprise privée étrangère pose questions. Il est donc légitime d’interroger la nature des activités et des services proposés par l’entreprise « Sahel Aviation Service » au Mali.

Quel est le rôle de Sahel Aviation Service (SAS) dans cette affaire ?

D’après le site internet de la compagnie aérienne allemande, « Sahel Aviation Service » (SAS) a été fondée en 1988 et a trente années d’expertise en Afrique de l’Ouest. Elle possède une flotte de 22 avions, 65 employés et 10 lieux d’opérations dans la région. Le siège social de l’entreprise serait à Bamako. D’après le site, SAS apporte des services aériens Humanitaires pour le compte des services humanitaires aériens des Nations Unies, du Programme alimentaire mondial, et pour la Croix-Rouge depuis 2011[18] Sahel Aviation Service (SAS), 2018, Making a difference in Africa, One flight at a time, SAS, https://www.sahelaviationservice.com/  .

La compagnie aérienne propose également des services de transports aériens aux industries d’extraction minières. D’après le site web de l’entreprise, parmi ses clients figures Barrick Gold, Ashanti et Resolute Mining. L’entreprise propose également un service de transport de cargaison y compris de « produits dangereux » dans toute l’Afrique de l’Ouest via deux Antonov An-26 (AN26), un avion de transport civil et militaire à deux moteurs datant de l’ère soviétique et produit de 1969 à 1986.

Le directeur de SAS, un citoyen allemand du nom de Stefan Koehler, n’a presque aucune trace sur internet[19] Linkedin, 2022, Stefan Koehler Director general at Sahel Aviation Service, https://www.linkedin.com/in/stefan-koehler-08157a93/?originalSubdomain=de . Il est également intéressant de constater que les affaires de la compagnie aérienne sont extrêmement opaques, puisqu’aucune information complémentaire n’est apportée par l’entreprise en open source.

Cependant, d’autres sources officielles permettent d’avoir un aperçu des activités de l’entreprise au Mali. D’après le rapport 2015 du Ministère de l’équipement des transports et du désenclavement, la compagnie aérienne allemande effectuerait également des vols commerciaux intérieurs et internationaux (limités à l’Afrique de l’Ouest)[20]Ministère de l’équipement des transports et du désenclavement, Politique Nationale des Transports, des Infrastructures de transport et du Désenclavement, République du Mali, Septembre … En savoir plus.

Le rapport 2020 pour l’année 2017 de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives du Mali (ITIE Mali) a également mentionné l’entreprise allemande à 5 reprises, détaillant une partie de ses activités auprès de l’industrie minière malienne[21]Initiative pour la transparence dans les industries extractives, IRIE Mali, Rapport pour l’année 2017, BDO LLP,  Juin 2020, … En savoir plus.

Le rapport montre que les entreprises minières Morila, Semos, Somilo, Somisy et Fekola ont eu recours aux services de SAS (dont la location d’avions) pour des montants de 14 112 204 Fcfa (Morila), 956 788 707 Fcfa (Semos), 873 648 233 Fcfa (Somilo), 1 383 229 218 Fcfa (Somisy) et de 44 696 300 Fcfa (Fekola) respectivement.

Étant en contrat avec les autorités ivoiriennes dans le cadre des activités de la Minusma au Mali d’après les différentes déclarations ivoiriennes et du porte-parole de la Minusma, la recherche a été mené à identifier des contrats signés avec SAS. Cependant, aucune source officielle Ivoirienne mentionnant SAS n’a été identifié. La recherche s’est donc tournée vers la division des approvisionnements de l’ONU (UN Procurement Division – UNPD) chargée des contrats entre les entités et missions onusiennes et les entreprises privées. Il s’agit de la seule source officielle onusienne mentionnant SAS.

Sur la page recensant tous les contrats signés entre les entités onusiennes et des entreprises privées par année, de 2012 à 2022, aucun contrat avec la Minusma n’a été signé, par ailleurs, seuls deux contrats signés en 2021 avec Sahel Aviation Service sont recensés[22]UN Procurement Division, 2022, Contract Awards, United Nations, consulté le lundi 18 juillet 2022, … En savoir plus.

Le premier contrat, numéro 4700021051, dont le numéro de référence est le 3400009925, a été signé avec l’UNPD pour un montant de 1,3 million de dollars USD ($1 310 364) [23]UN Procurement Division, 2022, 4700021051, United Nations, Consulté le 19 juillet 2022, https://www.un.org/Depts/ptd/contract-awards/4700021051 . L’objet du contrat est intitulé « UNAMI 1 Lt Pax A/C ». UNAMI fait référence à la mission d’assistance des nations unies pour l’Irak – MANUI (United Nations Assistance Mission for Iraq – UNAMI), et « Pax » fait référence à « Peace Operations ».

Le contrat a été signé pour des transports effectués sur le territoire malien, sur la période allant du 20 août 2021 au 19 août 2022. Le contrat peut être reconduit jusqu’au 19 août 2024 dans le cadre des Accords Long Termes (Long term Agreements – LTA) de l’UNPD, spécifiques à un territoire. Ici, en l’occurrence le Mali.

Le second contrat numéro 4700021290, signé cette fois-ci directement avec la MANUI/UNAMI, a un objet plus clairement défini, « Provision of GH, Fuel, Accommodation and Navigation services for UNAMI » (Provision de GH, de fioul, de services de logement et de navigation pour la MANUI/UNAMI). Ce contrat a été établi le même jour que le premier et pour la même période, avec une reconduction possible jusqu’au lundi 19 août 2024. Le montant du contrat s’élève à 300 milles dollars USD ($300 000). Aucune référence n’a été donnée à ce dossier[24] UN Procurement division, 2022, 4700021290, United Nations, Consulté le 19 juillet 2022, https://www.un.org/Depts/ptd/contract-awards/4700021290 . Il a également été signé pour des services sur le territoire malien dans le cadre des LTA de l’UNPD.

Ainsi, les pseudos NSE ivoiriens ont été affectés, de 2019 au 19 août 2021, à la sécurisation d’une base logistique privée, et du 19 août 2021, à la sécurisation d’opérations logistiques de la MANUI/UNAMI sur le territoire malien.

De là, il est légitime de demander, pourquoi la mission d’assistance des nations unies pour l’Irak (MANUI/UNAMI) est-elle mentionnée dans deux contrats d’une valeur cumulée de 1,6 million de dollars signés avec une entreprise privée Allemande, pour des services rendus au Mali ? Pourquoi la Minusma n’a signé aucun contrat de 2012 à 2022 avec l’entreprise qui, d’après le porte-parole de la Minusma et les autorités ivoiriennes serait un prestataire de service pour le compte de la Minusma ? Quelles troupes et équipements ont été transportés sur le territoire malien d’août 2021 à aujourd’hui ? Quelle est la nature des missions de la MANUI/UNAMI au Mali ? Enfin, les autorités maliennes étaient-elles informées ?

Ces questions sont d’autant plus légitimes que le mandat de la MANUI/UNAMI, est en principe, limité à l’Irak. La Minusma aurait donc dû être le signataire/bénéficiaire de ces contrats. En outre, les contrats signés avec la compagnie aérienne allemande, ont été signés alors qu’une citoyenne allemande, Mme Irena Vojáčková-Sollorano, assumait la fonction de Représentante spéciale adjointe du Secrétaire général en Irak et Coordonnatrice résidente, la deuxième plus haute fonctionnaire de la MANUI/UNAMI. Elle est donc très probablement impliquée dans la signature de ces contrats et dans la gestion des opérations au Mali[25]United Nations Secretary-General, 2020, Irena Vojáčková-Sollorano Deputy Special Representative of the Secretary-General for Iraq, Resident and Humanitarian Coordinator United Nations Assistance … En savoir plus.

Au vu des éléments présentés ici, il est légitime de se demander si les services de renseignement allemands sont également impliqués dans la signature et dans l’application des contrats, et si oui, dans quelle mesure et dans quels buts ?

Rappelons qu’avant la suspension des rotations de la Minusma par les autorités maliennes, les contingents onusiens avaient la possibilité de circuler librement sur tout le territoire dans le cadre de leurs missions, et ce, sans contrôle de la part des autorités maliennes. Il est donc probable que cette opération s’est faite à l’insu des autorités souveraines.

Afin d’obtenir des réponses à ces questions, Affaires Africaines a pris contact avec la direction de l’UNPD, avec la Minusma et avec la MANUI/UNAMI, cependant, aucune réponse n’a été reçu à ce jour. Nous avons également informé le ministère des Affaires étrangères du Mali à ce propos et attendons un retour de leur part.

Pour en revenir à la compagnie aérienne, hormis les documents cités ici, aucune autre source gouvernementale ne fait référence aux activités de SAS au Mali, ni à une quelconque coopération avec la Côte d’Ivoire ou la Minusma. En revanche, Oswald Padonou (2019, 9), dans une étude sur les contributions ivoiriennes au maintien de la paix, mentionne l’entreprise allemande SAS. D’après l’étude :

« En octobre 2019, la Côte d’Ivoire a déployé 264 personnels dont 188 à la MINUSMA, parmi lesquels une compagnie de 149 soldats ayant pour mission de sécuriser l’aéroport de Tombouctou. Le pays déploie également 650 soldats, toujours au profit de la MINUSMA. […] En dehors de ces Casques bleus, les Forces armées de la Côte d’Ivoire (FACI) contribuent avec une trentaine d’éléments de soutien national (NSE) afin de couvrir la sécurité des activités aériennes du prestataire allemand Sahel Aviation Service (SAS) à l’aéroport de Bamako. » [26]Oswald Padonou, La Côte d’Ivoire et les opérations de paix : profil d’un néo-contributeur, Observatoire Boutros-Ghali du maintien de la paix, 2019, pp.8-9 … En savoir plus

Au vu de la déclaration du 14 juillet du porte-parole de l’ONU selon laquelle aucun déploiement ivoirien n’a été effectué dans le cadre de la convention NSE depuis la signature de la convention en 2019, cette information émanant d’entretiens effectués entre le chercheur et des officiers Ivoiriens, confirme l’illégalité de la présence des militaires Ivoiriens qualifiés de NSE sur le territoire malien depuis 2019 et l’implication de SAS.

De plus, comme vu plus haut, les NSE sont censés limiter leurs interventions au soutien administratif, logistique et communicationnelle des contingents nationaux militaires et policiers de la Minusma. Autrement dit, aux policiers et aux militaires ivoiriens engagés dans le cadre de la Minusma au Mali. Ainsi, la présence des pseudos NSE Ivoiriens au Mali est doublement illégale.

Toutefois, une question reste en suspens. En effet, les autorités en charge de la sécurité et de la douane de l’Aéroport de Bamako ont autorisé sept rotations ivoiriennes, dans le cadre de pseudos NSE, malgré l’absence d’autorisations du Secrétaire Générale de l’ONU. Ainsi, pourquoi avoir arrêté ces 49 soldats ivoiriens, et pas les précédentes rotations ?

Lors d’un Espace sur tweeter, Séga Diarrah, journaliste chez Maliactu, a argumenté que les équipes sécuritaires et douanières de l’aéroport international ayant été récemment changées suite au coup d’Etat militaire de 2021, il est possible que la précédente administration ait permis aux militaires Ivoiriens de passer librement au détriment des procédures administratives. Cependant, le changement de personnel et le durcissement des procédures dans le cadre d’une volonté de mieux contrôler le territoire, ont mené à la constatation des irrégularités et à l’arrestation des 49 militaires ivoiriens[27]Séga Diarrah, @segadiarrah, « Fixez un rappel pour mon prochain Espace ! https://twitter.com/i/spaces/1LyxBoqMLgzKN #Mali #cotedivoire #CIV225 #RCI #MINUSMA », Twitter, 15 juillet 2022, 11:52 Am, … En savoir plus.

Plus de questions que de réponses ! La nécessité d’une enquête. 

L’affaire des 49 soldats arrêtés est-elle simplement le résultat de cafouillages administratifs entre les parties prenantes ? Plusieurs faits ne vont pas dans ce sens, notamment la dissimulation des professions réelles des 49 militaires ivoiriens sur leurs passeports. Deuxièmement, la plupart des personnels arrêtés étant des forces spéciales, l’on peut douter de la nature administrative et communicationnelle de leurs activités au Mali, comme défini par l’article 9(a à j) du DPKO/DFS National Support Element.

Troisièmement, l’implication de l’entreprise allemande, ses contrats signés avec la MANUI/UNAMI et non avec la Minusma pour des missions au Mali, la nature des missions sur le territoire d’août 2021 à aujourd’hui, et la nationalité de la Représentante spéciale Adjointe du Secrétaire Général en Irak au moment de la signature des contrats, sont tant d’éléments qui interroges sur les activités onusiennes au Mali, et sur l’implication de l’Allemagne. 

À cet égard, il convient de rappeler que les missions de maintien de la paix ont à maintes reprises provoqué des scandales dans l’histoire des Nations Unies. Le massacre de Srebrenica ; le scandale de corruption à plusieurs milliards de dollars dans le cadre du programme onusien en Irak « pétrole contre nourriture » ; les faits de torture commis en Somalie ; les innombrables scandales sexuels ; ou encore, la participation de l’ONU dans la déstabilisation politique de la RDC pour satisfaire les intérêts de grandes puissances ; sont tant de faits qui ont illustré les problèmes systémiques de l’ONU par le passé[28]« The Fall of Srebrenica and the Failure of UN Peacekeeping, Bosnia and Herzegovina », HRW, 15 octobre 1995, … En savoir plus. Il n’est donc pas exclu que des pratiques « illégales », pour ne pas utiliser d’autres termes, aient été employés au Mali, notamment en relation avec les contrats signés avec SAS.

=> À Lire : RDC : discutons des liens entre l’ADF et Daech !

Toutefois, il conviendra d’être factuel. Pour ce, les autorités maliennes devront enquêter sur :

  • Les contrats impliquants la compagnie aérienne Sahel Aviation Service, l’UNPD et le MANUI/UNAMI, et les activités opérées du 19 août 2021 à aujourd’hui au Mali dans ce contexte ;
  • Toutes les activités de l’entreprise Sahel Aviation Service de sa création à aujourd’hui ;

  • Les activités des pseudos NSE ivoiriens sur le sol malien de 2019 à aujourd’hui et d’établir s’ils peuvent être qualifiés, d’un point de vue juridique, de « mercenaires » conformément à la convention de l’OUA.

Ces enquêtes et les mesures en découlant devront permettre au Mali de mieux redéfinir le cadre de coopération avec les forces onusiennes et de mieux faire respecter sa souveraineté. Il conviendra également d’alerter l’Assemblée Générale de l’ONU à ce propos et d’exiger une enquête impartiale sur les manquements des entités onusiennes au Mali.

Enfin, l’issue diplomatique à cette crise doit être privilégiée pour éviter tout conflit qui profiterait aux groupes terroristes présents sur le territoire, et nuirait grandement à la population malienne.

NDIAYE Karim Babacar

Diplômé d’un Master II en Relation Internationales de la National Chengchi University, (Taipei, Taiwan), Karim est spécialisé dans l’analyse des transitions démocratiques, des conflits armés et de la sécurité internationale.

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