La France soutient-elle le terrorisme au Sahel ?
Résumé: Le Mali, le Niger et le Burkina Faso ont tous accusés la France de soutenir les groupes armés terroristes sévissant dans leurs Etats. La France, quant à elle, estime qu’il s’agit d’une campagne de désinformation « anti-France » piloté par le Kremlin et disséminée par des autorités issues de coups d’Etats. Nonobstant des positions de chacun, la question reste légitime : la France, soutient-elle les groupes armés terroristes au Sahel ? Plusieurs éléments objectifs suggèrent fortement que oui, cependant, il n’existe pas à ce stade de preuves matérielles de première main permettant de l’affirmer avec certitude. En outre, quand bien même ces trois Etats mettraient la main sur des preuves matérielles irréfutables et accablantes, comment mettre fin aux ingérences et obtenir justice dans ce système international non pas régit par le droit, mais plutôt par « l’anarchie » ?
Mots clés: Mali, Niger, Burkina Faso, France, groupes armés terroristes, Emmanuel Macron, Sébastien Lecornu, Kidal, Anefis, Unity resources group, Conseil national pour la sauvegarde de la patrie, Etats-Unis, Choguel Kokalla Maiga, Ibrahim Traoré, Abdoulaye Diop, Abdoulaye Maiga, Pentagone, Israël, Russie, Al Qaeda, Daesh, Etat Islamique, Gsim, Jnim
1. Les accusations du Niger, du Mali et du Burkina Faso à l’encontre de la France.
Les 9 et 11 août 2023, le porte-parole du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP) nigérien, a lu deux communiqués sur la chaîne ORTN télé Sahel, accusant la France de multiplier les viols de son espace aérien et de systématiquement couper toutes les communications avec les autorités locales au cours de ces vols. Les communiqués font mention de deux vols non-autorisés survenus le 9 août 2023, de 6h 39 à 11h 15, et à 22h 30[1]ORTN télé sahel, URGENT: COMMUNIQUE N°25 DU CONSEIL NATIONAL POUR LA SAUVEGARDE DE LA PATRIE ( CNSP ). 9 août 2023, https://www.youtube.com/watch?v=v9ttEVcxQ40 ; ORTN télé sahel, URGENT: … En savoir plus.
Le CNSP accuse également la France d’avoir, de manière unilatérale, libéré au moins seize chefs « éléments terroristes » auparavant faits prisonniers qui se seraient ensuite rencontrés au village de Fitili, à 28 km au Nord-Ouest de Yatakala (village de la région Tillabéri à l’Ouest du Niger) en vue de planifier une attaque contre les positions militaires en zone des trois frontières. D’après le porte-parole, ils seront appréhendés le 15 juin 2023 à Yessi, (38 km de Bankilaré), le 16 juin 2023 à Makarma, et le 7 juillet à Kissi, à Yorou au Mali.
Le 1er septembre 2023, dans un communiqué publié sur le compte Twitter (X) de la présidence du Niger, en réponse aux propos tenus par Emmanuel Macron lors de la conférence des ambassadeurs, le CNSP a officiellement accusé la France de soutenir les groupes armés terroristes au Sahel en affirmant :
« […] Contrairement à la rhétorique macronienne qui consiste à dire que les militaires ont abandonné la lutte contre le terrorisme pour les privilèges du pouvoir à Niamey, nos forces de défense et de sécurité sont plus que jamais engagées à poursuivre leur lutte acharnée contre les forces terroristes d’ailleurs soutenues par la France qui prétendait jusqu’ici nous aider dans cette lutte[2]@presidenceNiger, « Communiqué du Gouvernement de La République du Niger suite aux propos du Président de la République Française à la #ConfAmb. #Niger » 1er septembre 2023, 19:56, … En savoir plus. »
Il s’agit là d’un troisième Etat Sahélien accusant la France de ce crime. En effet, le Capitaine Ibrahim Traoré, président de la transition Burkinabè, avait affirmé lors d’une interview accordée à Afrique Média le 31 juillet 2023[3]« PRÉSIDENT IBRAHIM TRAORÉ: » ON SENT QUE, IL Y’A DES MAINS EXTÉRIEURS QUI ARME L’ENNEMI »A L’INTERVIEW » Afrique Média, 31 juillet 2023, 13 :20 … En savoir plus :
« A un moment donné, on a un ascendant terrible sur l’ennemi, mais l’ennemi se ré-équipe, on ne sait pas comment. Actuellement, on rencontre un certain type d’armements et de munitions, voilà, on se demande d’où ça vient ». Il accusera des « mains extérieurs » de fournir une aide aux groupes armés terroristes sévissant au Sahel, faisant explicitement référence à la France.
Le Mali est l’Etat qui ira le plus loin dans ces allégations puisque lors d’une interview accordée au média d’État Russe RIA Novosti en début octobre 2021, Choguël Kokalla Maïga, Premier ministre de la transition malienne, a affirmé : « […] Arrivée à Kidal en 2013 lors de l’offensive contre les groupes armés qui ont envahi les régions du nord, la France a interdit à l’armée malienne de rentrer à Kidal. Elle a créé une enclave », il a ajouté que la France y a « formé et entraîné une organisation terroriste », et serait responsable de la création et de la formation de plusieurs groupes lié à Ansar al-Dine, groupe armé terroriste affilié à Al-Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI) et à Al-Qaeda[4]Lassaad Ben Ahmed, « Mali : Choguel Maiga accuse la France d’avoir formé et entraîné une organisation terroriste à Kidal », Anadolu Agency, 10 octobre, … En savoir plus.
Traduisant ces accusations en actes diplomatiques, le 15 août 2022, le ministre des affaires étrangères du Mali, Abdoulaye Diop, va porter plainte contre la France auprès du Conseil de sécurité des Nations unies au regard des « actes graves d’agression de la France contre la souveraineté et l’intégrité territoriale du Mali à des fins de déstabilisation »[5]@AbdoulayeDiop8, Amb. Abdoulaye Diop, 19 juin 2023, 13h32, Twitter, https://twitter.com/AbdoulayeDiop8/status/1670756428900974593 ; David Baché, Le Mali accuse la France d’armer les terroristes et … En savoir plus.
Le Mali accusera la France d’avoir violé à plusieurs reprises son espace aérien, et de soutenir les groupes armés terroristes dans la région au travers de transferts d’armes et de renseignements. Cette plainte sera rejetée par le Conseil de sécurité où la France siège en tant que membre permanent.
D’après des journalistes qui ont pu consulter cette lettre du 15 août, Abdoulaye Diop aurait précisé qu’une cinquantaine de viols de l’espace aérien malien ont été enregistrés sur les 8 premiers mois de l’année 2022, par « drones, hélicoptères et avions de chasses » dénonçant des « activités d’espionnage » et dans certains cas, de largages de colis, notamment le 8 août 2022 à Labezanga (commune située sur le parcours du fleuve Niger à la frontière entre le Mali et le Niger)[6]David Baché, Le Mali accuse la France d’armer les terroristes et saisit l’ONU, RFI, 17 août 2022, … En savoir plus.
De plus, après l’attaque du camp de Tessit où 42 soldats maliens ont été tués par les membres de l’Etat Islamique au Grand Sahara (EIGS), l’armée malienne affirmait au préalable avoir enregistré « des opérations clandestines et non coordonnées de survol ». Suggérant que l’EIGS a reçu « un appui majeur » et « une expertise extérieure »[7]David Baché, Le Mali accuse la France d’armer les terroristes et saisit l’ONU, RFI, 17 août 2022, … En savoir plus.
Le 23 septembre 2023, à la tribune de l’Assemblée générale des nations unies à New York, Abdoulaye Diop a réitéré ces accusations en affirmant :
« Aujourd’hui, les populations du Mali sont encouragées par les résultats engrangés dans la lutte contre les groupes armés terroristes et leurs sponsors étatiques étrangers. Le Mali dénonce à nouveau et avec force, les ingérences de certaines puissances qui continuent de faciliter les activités criminelles des groupes armés terroristes au Mali et au Sahel. Il y a lieu de rappeler que le 15 août 2022, le gouvernement du Mali avait alerté le Conseil de Sécurité des Nations unies sur les actes d’hostilité et d’agression de la France. Au lieu de cesser ces agissements, ce pays membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations unies continue en toute impunité ses manœuvres de déstabilisations du Mali et du Sahel comme en témoigne la récente libération des terroristes dans la zone des trois frontières du Burkina Faso, du Mali et du Niger, en dehors de tout cadre judiciaire et à l’insu des Etats concernés, pour perpétrer plus d’actions terroristes contre nos populations civiles et nos forces de défense et de sécurité. »[8] Abdoulaye Diop (Mali) devant la 78e Assemblée générale des Nations unies, Voice of America Afrique, vidéo youtube, 24 septembre 2023, 00 :00 – 2 :57 https://www.youtube.com/watch?v=-2R5AgKQZ_E
Paris dénoncera systématiquement ces allégations comme pure campagne de désinformation « anti-France » pilotés depuis le Kremlin et disséminés par des autorités « illégitimes » de coup d’Etats. Mais malgré tout, la France n’apportera jamais d’éléments permettant de contredire cette dite « propagande » ou de démontrer qu’elle émane du Kremlin.
La France et ces trois Etats livrent donc une guerre d’information sur cette question. Il est donc légitime de se demander si la France fournit en effet un soutien aux groupes armés terroristes présent au Sahel ? Plusieurs données objectives et faits historiques permettent de suggérer que les accusations du Niger, du Mali et du Burkina Faso sont tout à fait crédibles.
Dans un premier temps, l’analyse montrera comment « l’enclave de Kidal » partage des similitudes avec la coupure en deux de la Côte d’Ivoire par la force Licorne. Dans un second temps, l’analyse se concentrera sur les éléments de corrélation entre la présence militaire française et l’aggravation de l’insécurité en zone des trois frontières. Enfin, une conclusion et des recommandations seront apportées.
Y avait-il un risque de « conflit interethnique » à Kidal comme suggéré par la France ?
La force Serval avait effectivement empêché les Forces armées du Mali (FAMa) de pénétrer Kidal (ville située au Nord-est du pays dans une région du même nom à la frontière avec l’Algérie et le Niger) tel qu’affirmé par Choguel Kokalla Maïga. La ville était alors occupée par le Mouvement National pour la Libération de l’Azawad (MNLA), groupe armé séparatiste Touareg responsable d’au moins 18 attentats au cours desquels 19 civils et militaires seront tués entre janvier 2012 et novembre 2013[9] National Consortium for the Study of Terrorism and Responses to Terrorism, « Global Terrorism database (GTD) », University of Maryland, 2021 .
Après avoir repoussé avec « l’aide » de Serval l’offensive menée par Ansar al-Dine contre Bamako, les FAMa avaient effectués un mouvement sud-nord pour reprendre la ville de Kidal. Cependant, le contingent de Serval stationné à l’entrée de la ville s’y était opposé[10] Davil Lewis, La France pousse le Mali à un accord avec les Touaregs, Reuters, 19 mai 2013 https://www.reuters.com/article/ofrtp-mali-20130519-idFRPAE94I02520130519 .
Officiellement, Paris redoutait le déclenchement d’« affrontements interethniques ». D’après le Premier ministre malien, les autorités maliennes n’ayant pas eu la possibilité de se déployer sur l’ensemble du territoire tout au long du conflit, en 2021, plus de 60 % du Mali n’était plus sous contrôle national[11]Lassaad Ben Ahmed, « Mali : Choguel Maiga accuse la France d’avoir formé et entraîné une organisation terroriste à Kidal », Anadolu Agency, 10 octobre, … En savoir plus.
De là, il est important de se demander s’il s’agit d’un conflit risquant de devenir « interethnique » comme alors argumenté par la France ? Il est vrai que la création des frontières par l’ancienne puissance coloniale a été faite à l’insu des communautés ethniques, créant des frustrations, en particulier, chez certains membres de la communauté nomade touareg. Ainsi, des groupes séparatistes touaregs vont être créés et chercheront dès l’indépendance du Mali à établir un Etat entre le Nord du Mali et le désert au sud de l’Algérie, région qu’ils nomment l’Azawad.
Plusieurs rébellions touaregs éclateront en 1962-1964 et en 1991, elles échoueront toutes. Après les débâcles de 1991, des milliers de militants touaregs ont fui le Mali et feront carrière au sein de l’armée libyenne. Ils seront entraînés et participeront à plusieurs guerres sur le continent et auront donc une certaine expérience du terrain. La destruction de la Libye par l’OTAN créera un manque de contrôle des armes du régime libyen et ainsi, l’opportunité de relancer le mouvement indépendantiste de l’Azawad[12]Ahmed S. Hashim, The War in Mali: Islamists, Tuaregs and French Intervention, Counter Terrorist Trends and Analyses , Vol. 5, No. 2 (February 2013), pp. 2-8, … En savoir plus.
Si la question touarègue est importante, l’aspect ethnique n’explique en rien le conflit au Mali ni l’insécurité au Sahel puisque de 1990 au 30 juin 2021. Sur 1082 attaques terroristes survenues au Mali, seules 61 avaient été revendiquées par, ou attribuées à des groupes indépendantistes touaregs, soit 5.63 % du total[13] National Consortium for the Study of Terrorism and Responses to Terrorism, « Global Terrorism database (GTD) », University of Maryland, 2021 . En outre, évoquer l’émergence d’une éventuelle guerre ethnique donne l’illusion que les diverses communautés ethniques qui cohabitent depuis des millenaires sont actuellement dos à dos, ce qui dans les faits n’est pas le cas, bien que certaines communautés, dont les touarègues, ont des revendications. La question ethnique, et en particulier touarègue est importante pour la société Malienne, mais n’est donc pas centrale dans la crise sécuritaire actuelle.
Le principal facteur de l’insécurité au Mali observable de 2013 à nos jours est indéniablement la destruction de la Libye par l’OTAN. La chute du régime de Kadhafi permettra à des groupes armés terroristes extérieurs et indépendantistes d’acquérir une technologie militaire moderne et de haute qualité en grande quantité, dont des armes légères et de petit calibre (ALPC), des munitions, et des MANPADS (systèmes portatif de défense anti-aérienne), puis de se déployer au Sahel. Par opportunisme, les groupes indépendantistes formeront des alliances avec ces groupes armés terroristes.
Par conséquent, aujourd’hui les groupes les plus meurtriers et contrôlant le plus de territoire depuis le début de la crise sont ceux dits « djihadistes » dont la plupart sont affiliés à Al-Qaeda ou à l’Etat Islamique (Daesh) et dont le but est d’annexer une portion du territoire pour y imposer leurs interprétations de la « Charia ».
Une décennie après les faits, et après le départ de Barkhane, les FAMa ont repris Kidal sans l’irruption de quelconque conflit inter-ethnique. Cependant, Emmanuel Macron persiste à entretenir ce mythe du risque de « conflit interethnique » au Mali, en affirmant lors de la conférence des ambassadeurs du 28 août 2023 :
« D’abord parce qu’il ne faut pas rester trop longtemps à lutter contre le terrorisme et parce que la nature de ce conflit change. Parce que la nature même du terrorisme est en train de changer dans toute la région, parce qu’on voit une montée du fait ethnique, parce qu’il y a au fond une crise politique et économique qui s’installe au Sahel et qui est en train d’installer et en quelque sorte de créer dans la durée une crise dont les nouvelles formes de terrorisme sont une conséquence. » [14] France 24, « REPLAY – Discours d’Emmanuel Macron devant les ambassadeurs • FRANCE 24 » 28 août 2023, 41 :00 – 43-17, https://youtu.be/3zRR9JEq1nY .
De là, pourquoi la France a-t-elle joué la carte « ethnique » en empêchant les FAMa d’entrer à Kidal et pourquoi continue-t-elle a l’employer ? Pour répondre à cette question, il faut s’intéresser à l’intervention de la force « Licorne » en Côte d’Ivoire puisque le modus operandi français partage des similitudes avec celui employé au Mali.
La balkanisation de la Côte d’Ivoire par la France, des similitudes avec l’enclave de Kidal ?
Dans son livre intitulé « France Côte d’Ivoire : une histoire tronquée », Fanny Pigeaud, journaliste française, retrace l’histoire ivoirienne de 2000 à 2011 et le rôle de la France dans la crise politique. La journaliste démontre que dès son élection en 2000, le président Ivoirien Laurent Gbagbo avait été présenté par la France et par le camp Ouattara comme xénophobe à l’encontre de la minorité ivoirienne ne correspondant pas à la notion « d’Ivoirité » introduite par l’ancien président, Henri Konan Bédié.
Le charnier de Yopougon découvert le 27 Octobre 2000, où les corps de 57 personnes non-identifiées, tués à l’arme blanche, à l’arme à feu ou par noyade ont été retrouvés va servir d’argument principal pour « démontrer » le caractère xénophobe et génocidaire du régime Gbagbo.
Si aucune preuve matérielle ne permet à ce jour d’incriminer l’un ou l’autre camp, ce massacre sera instrumentalisé par la France et le RDR d’Alassane Ouattara qui accuseront des gendarmes et par extension, le gouvernement Gbagbo. Gbagbo et son parti souhaiteraient le génocide des Ivoiriens « étrangers » du Nord d’après ce narratif.
La nuit du 18 au 19 septembre 2002, une énième tentative de coup d’Etat orchestrée par Ibrahim Coulibaly (IB), ancien garde du corps d’Alassane Ouattara, décrit comme son « homme à tout faire », sonnera le début de la première guerre civile ivoirienne opposant les milices pro-Ouattara aux forces de sécurités (FDS) ivoiriennes soutenus par des milices d’auto-défense pro-Gbagbo[15]IB, ma part de vérités, 7 avril 2011, youtube ; Fanny Pigeaud, Côte d’Ivoire : une histoire tronguée, Vents d’ailleurs, 31-40; Stephen smith, Damien Glez, Vincent Rigoulet, « Le visage de la … En savoir plus.
Les milices pro-Ouattara seront soutenues, financées et armées par le Burkina Faso de Blaise Compaoré, et soutenues diplomatiquement et financièrement par le Sénégal, le Gabon, le Libéria et la Libye, le tout avec l’aval de la France. Rappelons qu’à cette époque, les réseaux Foccart de la françafrique vont être réactivités sous la présidence de Jacques Chirac après une courte pause lors de la cohabitation Chirac-Jospin.
Ainsi, les réseaux Foccart étaient particulièrement influents et aucune politique dans le pré-carré n’était menée sans la connaissance, ni l’aval de Paris. L’armement et le financement de groupes armés étaient donc nécessairement sus des services de renseignements français. Pourtant, malgré sa qualité de « médiateur », à aucun moment, tout au long de la crise, la France ne condamnera les agissements dans l’ombre du Burkina Faso et d’autres Etats voisins. Ce simple fait suggère à minima une complicité.
Dès la tentative de coup de septembre 2002, le camp pro-Ouattara recrutera des civils non-formés, des guerriers Dozos (chasseurs traditionnels), et d’anciens criminelles de guerre libériens vétérans du Sierra Léone, dont Kuku Dennis et Sam Bockarie, dit Mosquito[16]Fanny Pigeaud, Côte d’Ivoire : une histoire tronquée, Vents d’ailleurs, 2015, 36, 49-55 ; Comfort Ero, Anne Marshall, « L’Ouest de la Côte d’Ivoire : un conflit libérien ? », … En savoir plus. Malgré la connaissance de ces faits, la France s’obstinera à considérer le conflit ivoirien comme une « guerre civile » pour éviter d’activer les accords de défense et d’avoir à intervenir en soutien au gouvernement Gbagbo qu’elle souhaitait renverser.
La tentative de coup d’Etat de septembre 2002 scindera le pays en deux avec le Nord contrôlé par les rebelles du Mouvement Patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI) d’Ibrahim Coulibaly, et le Sud contrôlé par l’Etat.
Après la signature des « accords » de Linas Marcoussis orchestrés par la France, des 15 au 25 janvier 2003, (sans la participation du camp Gbagbo), et le transfert des pouvoirs exécutifs et du Conseil électoral indépendant (CEI) au RDR (parti politique d’Alassane Ouattara) et aux groupes armés pro-Ouattara (MPCI, MJP, Mpigo dirigés par IB), un nouveau gouvernement sera mis en place et dépossèdera Laurent Gbagbo et son parti politique (FPI) d’une part importante de ses prérogatives. Et ce, malgré les élections de 2000 et la constitution Ivoirienne. Un véritable coup d’Etat constitutionnel[17] Fanny Pigeaud, Côte d’Ivoire : une histoire tronquée, Vents d’ailleurs, 2015, 49-55.
Le 4 février 2003, le Conseil de sécurité des Nations unies votera la résolution 1464 afin de mettre en application les « accords de paix » de Linas-Marcoussis[18] Chaque résolution onusienne sera proposé par la France tout au long de la crise.. La résolution autorise pour six mois renouvelables les forces de la Cédéao et des « forces françaises qui les soutiennent à prendre les mesures nécessaires pour assurer […] sans préjudice des responsabilités du gouvernement de réconciliation nationale, la protection des civils immédiatement menacés de violences physiques à l’intérieur de leurs zones d’opérations et en fonction de leurs moyens. ». La force française du nom d’opération Licorne sera créée et aura le statut de « force de maintien de la paix »[19]Fanny Pigeaud, Côte d’Ivoire : une histoire tronquée, Vents d’ailleurs, 2015, 56 ; Résolution n° S/RES/1464 (2003) Adoptée par le Conseil de sécurité, à sa 4700e séance, le 4 février … En savoir plus. Le 27 février 2004, la résolution 1528 du Conseil de Sécurité établira la mission de paix de l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (Onuci). 7 800 Casques bleus seront déployés afin d’aider à appliquer les provisions de Linas-Marcoussis. La force Licorne (600 hommes), sous mandat onusien sera attachée au dispositif, mais restera sous commandement français.
L’Onuci et Licorne créeront une « zone de confiance » de 12 000 km carrées séparant les zones contrôlées par les belligérants[20] Notez que depuis 1997, la France avait la main sur le département des opérations de maintien de la paix de l’ONU (Department of Peacekeeping operations, DPKO) dont dépend l’Onuci.. Les Forces de sécurités (FDS) et les milices pro-Ouattara auront l’interdiction de franchir cette « zone de confiance ».
Ainsi, au nom d’un prétendu risque de conflit interethnique, et ignorant les ingérences étrangères, la France et l’Onuci ont pu procéder à une balkanisation de la Côte d’Ivoire, dépossédant l’Etat de sa souveraineté sur la moitié nord du territoire. Pendant ce temps-là, les groupes armés pro-Ouattara ont pu s’approvisionner en armes, être financés, s’entraîner, et gagner en puissance de feu avec la complicité de la France et de l’ONU. Les conséquences de cette politique seront dramatiques pour la Côte d’Ivoire.
Pourquoi la France avait-elle procédé ainsi ? Son but était de permettre le renforcement de la puissance de feu des groupes armés pro-Ouattara pour lui assurer une victoire sur le plan militaire et renverser Gbagbo, considéré par Chirac hostile aux intérêts français, et de le remplacer par Ouattara. La France ne voulant pas intervenir directement, le seul moyen de le faire était de soutenir les groupes armés de manière indirecte. Au delà du soutien, il fallait également gagner du temps pour permettre aux troupes de s’organiser. D’où la séparation du Pays en deux.
En ce sens, l’enclave de Kidal partage de fortes similitudes avec la coupure en deux de la Côte d’Ivoire, puisque pendant que les FAMa (qui contrôlaient le sud) ont été empêchés d’intervenir à Kidal, les groupes armés terroristes (présent au Nord) ont pu se multiplier, développer leurs puissance de feu, créer des alliances et se déployer sur une portion toujours plus importante du territoire. Aujourd’hui encore, le contrôle de Kidal reste l’un des enjeux stratégiques du conflit.
En outre, le 11 octobre 2023, lors d’une audition du ministre des armées françaises par la commission des affaires étrangères et de la défense, le ministre des armées français, Sébastien Lecornu a affirmé qu’ « il pourrait y avoir une partition du Mali dans les semaines ou les mois qui viennent » en raison de la « résurgence massive du risque terroriste au Sahel» [21]Budget 2024: audition de Sébastien Lecornu, ministre des armées, Sénat, 11 octobre 2023, https://www.youtube.com/watch?v=gf3qFNKyQUc&t=593s ; Amarana Malga, « Bamako : Le sort du Mali ne se … En savoir plus.
Il n’est donc pas exclu qu’une telle stratégie ait été réappliquée à Kidal en 2013 en empêchant les FAMa de sécuriser la région, d’autant plus que ces événements ont eu lieu en 2013, seulement deux ans après l’arrestation de Laurent Gbagbo dans un Etat voisin. Il est également plausible qu’un tel projet de partition du Mali soit encore en cours au regard des propos tenus par le ministre des armées français et de la carte ethnique, sans réel fondement empirique, joué par le président français.
Par ailleurs, notre article intitulé « Mali : quels sont les enjeux stratégiques des sanctions » détaille comment les accords bilatéraux de défense signés entre le Mali et la France de 1985 à 2014 ne permettaient pas à Serval, ni à Barkhane de s’engager dans des exercices autonomes, et encore moins d’empêcher aux FAMa de se déployer sur leur propre territoire.
Mais dans le même temps, les accords autorisaient les déplacements non contrôlés des troupes françaises sur l’ensemble du territoire et par n’importe quel moyen de transport. La France ne reconnaissant pas les autorités de transitions, estime systématiquement après les coups d’Etats que les accords sont toujours actifs, expliquant les viols des espaces aériens observés par les autorités de transitions nigériennes et maliennes après la dénonciation des accords par Bamako[22]Karim Ndiaye, Mali : quels sont les enjeux stratégiques des sanctions ? Affaires Africaines, 4 février 2022, … En savoir plus. Cependant, ces survols ne font qu’alimenter les spéculations.
Ainsi, la politique africaine menée par l’Élysée lors de la crise ivoirienne, la violation des accords de défense avec le Mali, les récentes déclarations des autorités françaises, en plus des accusations du Niger, du Burkina Faso et du Mali devraient être suffisants pour à minima s’interroger sur le rôle qu’a eu la force Barkhane dans l’évolution de l’insécurité au Sahel. A ce titre, analysons maintenant les éléments de corrélations entre la présence militaire française et l’évolution de la situation sécuritaire en zone des trois frontières.
2. Les éléments de corrélations entre la présence militaire française et l’aggravation de l’insécurité en zone des trois frontières.
En avril 2021, le rapport d’information déposé par la commission de la défense nationale et des forces armées sur l’opération Barkhane considérait le bilan de l’opération comme « incontestablement positif », faisant référence à une période de trois mois dans laquelle « 859 membres de l’EIGS [ont été] tués, 169 capturés, 34 véhicules détruits et des centaines de motos détruites depuis le Sommet de Pau [du lundi 13 janvier 2020] »[23]Assemblée nationale, « Rapport d’information, Commission de la défense nationale et des forces armées en conclusion des travaux d’une mission d’information. Sur l’opération Barkhane », … En savoir plus.
Plus récemment, lors de la conférence annuelle des ambassadeurs du 28 août 2023, le président français, Emmanuel Macron, a affirmé[24] Discours de Macron lors de la conférence des ambassadeurs du 28 août 2023, 39 :30 – 40 :50, https://youtu.be/3zRR9JEq1nY :
« Si la France n’était pas intervenue, si les militaires n’étaient pas tombés au champ d’honneur en Afrique, si Serval, puis Barkhane n’avaient pas été décidés, nous ne parlerions pas aujourd’hui ni du Mali, ni du Burkina Faso, ni du Niger. Ces Etats n’existeraient plus aujourd’hui dans leurs limites territoriales. »
Selon la France, donc, les opérations militaires Serval et Barkhane ont été des succès « incontestables » et ont permis de « sauver » ces Etats nations. Cependant, Affaires Africaines suggérait en février 2022 que les données avancées par Paris étaient difficilement vérifiables, et ne pouvaient pas à elles seules témoigner de l’efficacité de l’opération Barkhane[25]Karim Ndiaye, Mali : quels sont les enjeux stratégiques des sanctions ? Affaires Africaines, 4 février 2022, … En savoir plus.
En effet, le Ministère des Armées français rendait publique, de manière irrégulière et sélective, au moyen de communiqués publiés sur le site defense.gouv.fr et de Tweets les divers « succès opérationnels » de la force Barkhane. De plus, les communications ne détaillaient pas de manière précise le nombre de personnes appréhendées et/ou tuées, puisqu’utilisait le terme « neutralisé », ni ne spécifiait le nombre d’armes et objets saisis au cours des opérations.
Par ailleurs, le nombre d’attaques terroristes et de civils tués tout au long des opérations Serval et Barkhane au Mali, est systématiquement occulté des bilans quand bien même ces données contredisent le narratif officiel français. D’après les données du Global Terrorism Data (GTD), en huit années de présence de militaire, le nombre d’attaques terroristes annuelle a augmenté de +136.2 % passant de 58 attaques en 2013 à 137 en 2020 pour un total de 931 attaques sur toute la période.
Le nombre de victimes a quant à lui explosé, passant de 65 morts (civils et forces de sécurités) sur l’année 2013 à 519 sur la seule année 2020 (+698.5 %). Au Mali, l’on comptabilise un total de 2 805 victimes d’attaques terroristes du 1er janvier 2013 au 30 juin 2021, et ce, malgré la présence d’une multitude d’interventions militaires étrangères sur toute cette période (Serval, Barkhane, Minusma, G5 Sahel, force Takuba)[26] National Consortium for the Study of Terrorism and Responses to Terrorism, « Global Terrorism database (GTD) », University of Maryland, 2021 .
Notez qu’au Mali, de 1990 au 30 juin 2021, 90.6 % des victimes d’attaques terroristes ont été tuées entre 2013 et 2021, autrement-dit au cours des opérations Serval et Barkhane censés être des « succès incontestables » dans la lutte contre le terrorisme. Du côté Burkinabè, l’on observe une augmentation de +10 900 % du nombre d’attentats de 2013 à 2020, passant respectivement d’une seule attaque en 2013 à 110 en 2020.
Ajoutons qu’en 2012-13, au début de la crise, seul cinq groupes armés terroristes et indépendantistes étaient actifs sur une portion limitée du territoire malien, à savoir, le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), Ansar al-Dine, Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI), et le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO).
Aujourd’hui, il existe plus d’une trentaine de groupes armés terroristes répartis sur les territoires malien, nigérien et burkinabè, et concentrés en zone des trois frontières. Presque tous sont affiliés à Al Qaeda ou à l’Etat Islamique et ont émergés pour la majorité entre 2015 et 2017. Un constat possible suite au fait que la force Serval a repoussé la menace terroriste dans les Etats voisins, et en particulier au Burkina Faso à partir de 2013-2014[27]En septembre 2013, François Hollande concède que les armées françaises « ont vaincu l’ennemi, chassé les terroristes, même si nous pouvons les voir revenir. », voir Assemblée nationale, … En savoir plus.
Par conséquent, au-delàs de l’incapacité à réduire la présence terroriste sur le sol malien, la présence militaire française semble corrélée à l’aggravation et à la propagation de la menace terroriste dans la région.
Comment expliquer ce constat ?
Notre article « Mali : Quels sont les enjeux des sanctions ? » suggérait qu’une hypothèse plausible serait que la présence des troupes occidentales a généré une intensification des activités des groupes armés terroristes, hostiles à leurs présences sur le territoire.
Pour vérifier cette hypothèse, l’on constaterait, en principe, une hausse des attaques envers les positions françaises de 2013 à nos jours. Or, de 2013 à 2019, les troupes françaises en ont essuyé seulement sept au cours desquelles deux soldats français ont été tués et 15 autres ont été blessés. Sur la même période, les soldats de la Minusma et les FAMa ont respectivement subits 146 et 83 attentats[28] National Consortium for the Study of Terrorism and Responses to Terrorism, « Global Terrorism database (GTD) », University of Maryland, 2021 .
Si en janvier 2022, au total 53 militaires français étaient tombés au cours de l’opération Barkhane, de 2013 à 2019, environ 316 FAMa ont été tués lors d’attentats et 273 autres ont été blessés. Les troupes de la Minusma ont quant à elles dénombré 157 pertes et 422 blessés sur la même période. Notez que ces chiffres côté Minusma et FAMa ne comptabilisent que les victimes d’attentats et ne prennent pas en compte les soldats tués lors d’exercices militaires et d’affrontements, tandis que les chiffres français comptabilisent absolument tout[29] National Consortium for the Study of Terrorism and Responses to Terrorism, « Global Terrorism database (GTD) », University of Maryland, 2021 .
Par conséquent, cette hypothèse n’est pas vérifiable puisque les civils, les forces armées maliennes et les troupes de la MINUSMA étant les principales cibles des groupes armés terroristes[30] National Consortium for the Study of Terrorism and Responses to Terrorism, « Global Terrorism database (GTD) », University of Maryland, 2021.
Une question émerge alors : comment expliquer que les groupes armés terroristes aient si peu attaqué les positions militaires françaises sur cette période comparée aux autres contingents ? Cette question est pertinente puisque la France était décrite comme le meneur des opérations militaires dans la région et les groupes armés terroristes ont officiellement eu pour objectif de chasser les forces armées occidentales du Sahel.
Par exemple, le Gsim/Jnim et ses organisations membres sont responsables d’environ 28.7 % des attaques dont le Mali a été victime depuis 1990. Leur but officiel est de faire quitter les forces armées occidentales du Mali, d’imposer leur version de la Charia, et de rallier les autres groupes armés terroristes présent dans la région à leur cause[31] Le GSIM est une coalition de groupes armées terroristes composé d’Ansar al-Dine, AQMI, Al Mourabitoum et Katiba Macina. Le Gsim a prêté allégeance à Al-Qaeda dès sa création. Pourtant, le Gsim semble avoir très peu attaqué les positions françaises de sa création à nos jours.
Une telle observation va dans le sens des accusations faites par les Etats sahéliens décrites plus haut. D’autres pourraient argumenter qu’il s’agit du principe même du « terrorisme » en tant que tactique militaire de guérilla. C’est-à-dire de s’attaquer à des civils pour terroriser les survivants et imposer un changement politique émanant des citoyens. Cependant, les positions des FAMa et des Minusma ont particulièrement été touchées, ce qui permet donc d’alimenter les suspicions.
En outre, si l’on compare l’emplacement géographique des bases militaires françaises aux territoires contrôlés par les groupes armés, l’on y voit encore une fois une corrélation au moins jusqu’en mai 2019 d’après la carte interactive de l’ECFR[32] Mapping armed groups in Mali and the Sahel, European council on foreign relations, 2019, https://ecfr.eu/special/sahel_mapping/jnim ; https://twitter.com/Wamaps_news .
Sans parler du fait que malgré sa 9ème position au classement des puissances militaires mondiales, et en coopération avec la Minusma, les FAMa, le G5 Sahel et à moindre mesure avec la force européenne Takuba, la France n’a pas été en mesure de réduire la menace terroriste. Au contraire, comme vu plus haut, elle s’est intensifiée.
Conclusions & recommendations
Par conséquent, il existe un florilège d’éléments objectifs qui suggèrent une corrélation entre la présence militaire française et l’aggravation de l’insécurité au Sahel. À cela, ajoutons le cas de l’enclave de Kidal, qui partage des similitudes avec l’histoire de la force Licorne en Côte d’Ivoire. Tous ces éléments, juxtaposés aux accusations de trois Etats souverains, sont particulièrement accablants.
Néanmoins, afin de répondre par la positive à la question : la France soutient-elle les groupes armés terroristes au Sahel ? Il est nécessaire d’avoir accès à des sources de première main, telles que des images, des témoignages d’officiers supérieurs, des documents classés « confidentiels défense » français ou des documents appartenant à des sociétés militaires privées qui auraient été employés la France.
Si ceux-ci n’incriminent pas pour l’instant la France, c’est précisément ce qui a été découvert le 23 octobre 2023 à la base militaire d’Anefis. Anefis est une ville située à quelques km au sud-ouest Kidal dont la base militaire était sous le contrôle de groupes armés terroristes et indépendantistes.
Le 23 octobre 2023, le média Maliactu révélait qu’après avoir repris le contrôle de la ville au début du mois d’octobre, les FAMa y ont découvert un cahier d’officier, un téléphone portable contenant des images accablantes et des communications cryptées, un notebook contenant des informations sensibles sur les FAMa et sur leurs instructeurs russes, des badges d’identification, dont celui de l’officier en chef Stephen Russell appartenant à la société militaire privé étasunienne « Unity resources group »[33]https://twitter.com/segadiarrah/status/1716306972788588851 ; Mercenaires en terre malienne: l’intrusion silencieuse de Unity Resources Group et les ombres du conflit moderne, Mali Actu, 23 … En savoir plus.
Que suggèrent ces révélations ?
Premièrement, il est clair que Unity Resources Group semble avoir effectué des activités d’espionnage à l’encontre des FAMa et du groupe Wagner pour le compte des groupes terroristes et séparatistes présents dans cette base d’Anefis. Ces preuves matérielles viennent donc donner un appui majeur aux accusations d’espionnage d’Abdoulaye Diop du 15 août 2022, même si pour l’instant rien n’incrimine directement la France.
Deuxièmement, comment les officiers de cette société militaire privé ont-ils pénétrer le territoire sans avoir éveiller les soupçons des autorités locales? Ont-ils pénétrés le territoire au travers d’agences des Nations unis ou autre ?
Troisièmement, s’agissant d’une société militaire privée étasunienne, qui est son client ? Les activités de cette société militaire privée étant assujeti à un système d’autorisations, il est peu probable qu’un contrat ait été établit avec les groupes terroristes. Par ailleurs, les activités ont très certainement été conduites avec la connaissance du Pentagone. Ainsi, déterminer l’identité du client, probablement un Etat, est ici centrale.
Quatrièmement, pour quelles activités l’entreprise militaire privée Unity Resources Group a-t-elle été engagée, et depuis quand ? A-t-elle été engagée uniquement pour des activités d’espionnage ou était-elle également employé pour d’autres activités telles que de la formation des éléments des groupes armés terroristes, ou d’autres activités militaires de terrain ? L’enquête devrait apporter de nouveaux éléments sur cette affaire dans les semaines/mois à venir.
Ainsi, les données et l’histoire des interventions militaires françaises en Afrique des indépendances à nos jours suggèrent fortement que la France fournit un soutien aux groupes armés terroristes afin d’atteindre des objectifs spécifiques au Sahel. Il est également probable qu’au moins un autre Etat apporte un appui à la France dans cette démarche comme cela fut le cas en Côte d’Ivoire entre 2002 et 2011 au travers du Burkina Faso.
L’affaire des 49 soldats Ivoiriens arrêtés à l’aéroport International Président Modibo Keita-Senou de Bamako (Mali) le 10 juillet 2022 suggère que la Côte d’Ivoire et la MINUSMA font parti de ces entités qui ont agit à l’encontre de la souveraineté et de la sécurité malienne.
A lire: Mali : 49 soldats Ivoiriens arrêtés, le début d’un scandale onusien ?
Cependant, il est nécessaire d’acquérir des preuves matérielles telles que celles découvertes à Anefis afin de pouvoir clairement identifier l’ensemble des sponsors étatiques et non-étatiques des groupes armés terroristes et indépendantistes au Sahel et pour comprendre leurs stratégies et ambitions. Une tâche dantesque pour les FAMa en sommes.
Dans l’éventualité où des preuves matérielles et des témoignages de première main accablants la France viendraient en possession des autorités maliennes, nigériennes et/ou burkinabées, une question reste inévitable : et après ?
Si des preuves matérielles incriminant la France sont trouvés, comment obtenir justice et mettre fin aux ingérences ?
Les viols du droit international, de la Convention de Genève, et du Droit international Humanitaire (DIH) par Israël depuis le 7 octobre 2023, avec la complicité des Etats membres de l’OTAN et de l’Union européenne, sous le regard impuissant des Etats membres de l’assemblée générale de l’ONU, illustre encore une fois que le système internationale n’est pas régie par le droit, mais plutôt par « la loi du plus fort ». « L’Anarchie » comme théorisé par l’école réaliste.
Le rapport de force militaire, économique et diplomatique est tellement en faveur de la France, qu’en l’état, les Etats sahéliens ne parviendront pas à la tenir responsable de ses éventuels crimes dans les instances internationales. En témoigne la plainte du 15 août 2022 déposée au Conseil de sécurité par le Mali qui sera classée sans suite. Comment donc mettre fin aux ingérences françaises et obtenir justice dans ces conditions ?
Les opérations psychologiques (psyop) « manifestes » sont les seules options à disposition des Etats sahéliens.
Les services de renseignements malien, nigérien et burkinabè ont tout intérêt à concentrer leurs efforts sur l’identification des sponsors étatiques des groupes armés terroristes, et à rendre public toutes découvertes majeures. Les informations devront être, de manière non-filtrée, disséminées sur le territoire dudit sponsors à l’attention des médias indépendants, des partis politiques et des militants d’oppositions. Ceux-ci se chargeront de disséminer l’information auprès de leurs audiences, électorats et de leurs responsables politiques.
L’objectif serait de pousser la population française à l’indignation, d’imposer la polémique à tous les échelons de la société, de provoquer des manifestations, et à terme de pousser l’Etat à mettre fin à cette politique étrangère. Chaque Etat susceptible d’imposer un changement de politique à la France devra également être visé par des opérations psychologiques manifestes du même ordre, à savoir, les Etats de l’Union européenne, les Etats-Unis et les Etats membres permanents et non permanents du Conseil de sécurité.
De là, l’Etat sponsors sera « humilié » diplomatiquement parlant et perdra en crédibilité auprès de ses partenaires de défense qui luttent sincèrement contre le terrorisme dans le monde. De facto, devenu infréquentable, et donc, de plus en plus isolé sur la scène internationale, il deviendra plus aisé dans ce contexte d’accuser l’Etat agresseur, d’attirer une solidarité sur les plans diplomatiques, économiques, militaires et populaire, et ainsi, de rééquilibrer le rapport de force.
De cette façon, les opérations psychologiques manifestes sérieusement planifiées et disséminées par les services de renseignements sahéliens permettront de mettre un terme aux ingérences françaises. Mais pour qu’une telle option soit sur la table, encore faut-il acquérir d’avantage de sources de premières mains.