...
Afrique CentraleAfrique de l'Ouest et Sahel

Journalisme en Afrique: Danger des Financements Étrangers

Journalisme en Afrique: danger des financements étrangers. Image d'illustration de l'article de blog. L'on y voit les journalistes d'une rédaction d'un journal en réunion dans leurs bureau. Ils sont assis autour d'une grande table en bois, devant une fenêtre. La table est remplis de papiers, de livres et de notes.En Afrique, comme ailleurs, le journalisme, notamment d’investigation, joue un rôle crucial en tant que contre-pouvoir et dans la défense des intérêts des populations. Il permet de dénoncer les dérives autoritaires, la corruption, les injustices, les ingérences étrangères, les pratiques illégales des multinationales, et d’informer sur les développements des conflits politiques ou armés.

Cependant, une question légitime se pose : ce type de journalisme peut-il devenir dangereux lorsqu’il dépend de financements étrangers ? Cette interrogation est d’autant plus pertinente que de nombreux médias locaux en Afrique subsaharienne sont soutenus par des programmes de renforcement des capacités financés par l’Agence Française de Développement (AFD), l’Union européenne (UE), l’Agence américaine pour le développement international (USAID) et diverses fondations privées étrangères.

Il est raisonnable de penser que la dépendance d’un média à un bailleur de fonds, quel qu’il soit, influence sa ligne éditoriale. Cela pourrait conduire à une forme d’auto-censure pour éviter d’aborder des sujets susceptibles de contrarier ces financeurs.

Lorsque l’on considère des organisations comme celles citées plus haut, le risque est encore plus grand, car leur objectif reste avant tout de promouvoir les intérêts de leurs États respectifs. De plus, certaines d’entre elles ont été impliquées dans des renversements de régimes politiques.

A lire : Mali: que cache le soutien de l’Ukraine au terrorisme?

Dans son documentaire États-Unis à la conquête de l’Est, la journaliste Manon Loizeau  (2005), montre comment les États-Unis, via l’USAID, Open Society, le National Endowment for Democracy (NED), Freedom House et les ambassades américaines, ont formé et financé des « organisations de la société civile » à l’utilisation des nouvelles technologies de communication et des réseaux sociaux pour renverser des régimes dans plusieurs pays de l’ex-URSS[1]Sur les révolutions colorées, voir le documentaire de Manon Loizeau. Manon Loizeau, Les  Etats-Unis à la conquête de l’Est, Canal +, 2005 ; Le documentaire est disponible sur youtube, … En savoir plus.

Des journaux financés par ces organismes ont notamment publié des enquêtes sur la corruption, visant à délégitimer les chefs d’État pour inciter la population à la révolte. Ces « révolutions colorées », souvent décrites comme des mouvements populaires pro-démocratie, étaient en réalité des coups d’État orchestrés par Washington afin de remplacer des gouvernements non alignés par des régimes pro-OTAN. Des méthodes similaires auraient été employées durant les « Printemps arabes ».

Puisque ces mêmes organisations financent une grande partie des médias en Afrique subsaharienne, il est légitime de s’interroger sur la possibilité que des mécanismes similaires soient à l’œuvre. Les médias d’investigation pourraient ainsi être utilisés pour fragiliser les régimes politiques jugés hostiles aux intérêts occidentaux.

Il ne s’agit pas de minimiser l’importance des enquêtes sur la corruption, les exactions des forces de défense et les abus de pouvoir en Afrique, qui sont essentielles pour éclairer les populations dans leurs choix électoraux et dans leur engagement citoyen. Cependant, lorsque les financements des médias proviennent d’acteurs étrangers au passif bien documenté, il devient nécessaire de s’interroger sur l’indépendance des lignes éditoriales.

En Afrique, le paysage médiatique est marqué par un manque de ressources

Le paysage médiatique africain est souvent caractérisé par un manque de ressources locales. Les médias indépendants, en particulier ceux axés sur l’investigation, peinent à assurer leur subsistance financière de manière autonome. Dans ce contexte, les financements étrangers apparaissent comme une bouée de sauvetage. L’USAID, Open Society, l’Union européenne, l’AFD, et d’autres institutions occidentales jouent un rôle clé dans le soutien financier de ces médias.

Néanmoins, il est crucial de reconnaître que ces financements peuvent aussi servir à promouvoir des intérêts néocoloniaux et impérialistes en Afrique.

Par ailleurs, notre article intitulé Mali : que cache le soutien de l’Ukraine au terrorisme ? suggère que l’OTAN soutien des Groupes Armés Terroristes et Séparatistes (GAT-S) au Sahel dans le but de renverser les régimes de transition et de contrer les intérêts russes dans la région. Des opérations psychologiques (PSYOP) seraient notamment menées pour déstabiliser l’Alliance des États du Sahel (AES).

Ainsi, il ne faut pas négliger le risque que les médias financés par l’Occident puissent, sans le vouloir, devenir des instruments de PSYOP, en étant systématiquement orientés vers des sujets qui coïncident avec les intérêts de leurs bailleurs de fonds.

Par exemple, les enquêtes sur la corruption au sein des gouvernements africains reçoivent souvent un soutien enthousiaste de ces financeurs. Mais qu’en est-il des enquêtes sur les multinationales, les fuites de capitaux vers l’Occident, le pillage des ressources naturelles, ou la présence de bases militaires étrangères ?

Quelles alternatives pour un journalisme véritablement indépendant  en Afrique ?

Le journalisme d’investigation en Afrique subsaharienne est donc confronté plusieurs challenges : dépendre de financements étrangers au risque de compromettre certains sujets, ou maintenir son indépendance au prix d’une précarité économique.

Il est dès lors crucial d’envisager des solutions de financement alternatives pour garantir l’indépendance des médias et assurer un journalisme d’investigation bénéfique aux États et aux populations africaines.

Une piste pourrait consister à adopter des modèles participatifs (abonnements, crowdfunding) permettant de diversifier les sources de financement. D’autres mécanismes de financement public, garantissant une stricte indépendance éditoriale sans ingérence politique, devraient également être envisagés par les législateurs.

Conclusion

Si les financements occidentaux ont permis de révéler des affaires de corruption et d’abus de pouvoir dans la région, ils soulèvent aussi des interrogations quant à l’influence qu’ils peuvent exercer sur les enquêtes menées. À l’heure où le journalisme d’investigation est plus nécessaire que jamais, en raison du retour du conflit Est-Ouest en Afrique, il est essentiel de trouver des solutions pour garantir son indépendance, tant vis-à-vis des régimes autoritaires que des puissances étrangères.

Enfin, il est crucial que les rédactions africaines s’abstiennent de recourir systématiquement à des articles rédigés par des agences de presse étrangères telles que l’Agence France-Presse (AFP), Radio France Internationale (RFI), ou Reuters, et qu’elles privilégient la production de contenu exclusif. Il est anormal que des événements locaux soient rapportés en premier par des agences de presse étrangères.

NDIAYE Karim Babacar

Diplômé d’un Master II en Relation Internationales de la National Chengchi University, (Taipei, Taiwan), Karim est spécialisé dans l’analyse des transitions démocratiques, des conflits armés et de la sécurité internationale.