Afrique : des persécutions de civiles au nom de l’écologie?
L’expression « colonialisme vert », inventée par Guillaume Blanc, maître de conférences en histoire contemporaine, dans son livre L’Invention du colonialisme vert. Pour en finir avec le mythe de l’Éden africain, désigne une forme de domination occidentale exercée sous couvert de la protection de l’environnement[1] Papa Atou Diaw, Qu’est-ce que le colonialisme vert ?, BBC Afrique, 11 octobre 2022, https://www.bbc.com/afrique/articles/c6pzg901d1do .
Il la définit comme une vision coloniale, raciste et fantasmée de « l’Afrique verte, vierge, sauvage » mais surpeuplée. Il faut donc sauver l’Afrique des Africains… au nom de l’écologie.
Le WWF (World Wide Fund for Nature), une des ONG environnementales les plus respectées, a été accusé de telles pratiques en Afrique et en Asie.
Ces accusations, issues d’une enquête de BuzzFeed News de 2019, concernent des projets de création de parcs naturels qui, au nom de l’écologie, se sont traduits par la persécution de peuples indigènes refusant de quitter leurs habitats ancestraux, par des groupes paramilitaires financés par le WWF.
L’éviction des populations aborigènes
Tortures, viols, meurtres… L’enquête montre comment le WWF a utilisé tous les moyens pour pousser les populations locales à quitter leurs terres afin d’installer des parcs naturels destinés aux touristes et aux investisseurs occidentaux, et ce, avec la complicité des gouvernements locaux dans six pays d’Asie et d’Afrique, dont la République centrafricaine et le Cameroun.
En République centrafricaine, les communautés Baka et Bayaka ont subi ce type de violences, et leurs territoires ont été transformés en « zones protégées » gérées par des entités privées, parfois en collaboration avec le WWF.
Les Baka ont été brutalement attaqués par des rangers armés, formés ou soutenus par le WWF. Ces rangers sont accusés d’avoir brûlé des villages, torturé des personnes et tué ceux qui tentaient de résister[2]Tom Warren, Karie J.M. Baker, WWF Funds Guards Who Have Tortured And Killed People, BuzzFeed News, 4 mars 2019, … En savoir plus.
Dans la plupart des cas, ces populations ont perdu l’accès aux ressources naturelles nécessaires à leurs modes de vie et à leur survie. Ironiquement, ces communautés sont les gardiennes historiques de la biodiversité que le WWF prétend protéger.
De tels abus sont révélateurs d’une tendance plus large dans le domaine de la conservation internationale : celle de privilégier les intérêts d’entreprises, de gouvernements et d’ONG, souvent étrangers, au détriment des populations locales non blanches, dont les droits sont bafoués.
Sous couvert de préservation de l’environnement, des politiques similaires à celles des colonisateurs classiques sont perpétrées : des terres sont volées aux populations indigènes, leurs modes de vie et cultures sont dénigrés, et des décisions sont imposées par des acteurs extérieurs au nom d’une « mission civilisatrice » qui, cette fois, est celle de « l’écologie ».
Le cas des aborigènes chassés de leurs terres en Namibie, au Botswana et en Tanzanie illustre bien ce phénomène. Des territoires sont convertis en réserves naturelles pour attirer des touristes ou des investisseurs étrangers, parfois avec la complicité d’États africains désireux de tirer profit du développement de l’écotourisme.
L’UNESCO a-t-elle aussi recours à ce type de pratiques ?
Des enquêtes de terrain réalisées par l’ONG Survival dans des communautés indigènes en Afrique et en Asie ont également révélé des cas récurrents de tortures, de viols et de meurtres dans et autour de sites classés au patrimoine mondial de l’UNESCO[3]Un nouveau rapport accuse l’UNESCO de complicité dans des expulsions et des violations de droits humains à l’encontre de peuples autochtones, Survival, 18 avril 2024, … En savoir plus.
Parmi les sites classés au patrimoine mondial de l’UNESCO mentionnés dans le rapport, six proviennent de terres volées à des peuples autochtones, dont :
- la zone de conservation de Ngorongoro, en Tanzanie,
- le parc national de Kahuzi-Biega, en République démocratique du Congo (RDC),
- le parc national d’Odzala-Kokoua, en République du Congo.
Conclusion
Le fantasme de l’Éden africain, devant être débarrassé des populations locales, a des origines coloniales, mais se prolonge encore aujourd’hui à travers le travail d’ONG internationales et d’institutions de l’ONU.
Le « colonialisme vert » est une manifestation de ce fantasme issu de la « suprématie blanche » coloniale et montre que l’idéologie infeste les institutions internationales d’une part, et que la conservation de la nature peut reproduire des schémas d’oppression racistes d’autre part.
Les premières populations écologistes de la planète sont les populations indigènes du monde non occidental, qui vivent en harmonie avec la nature depuis des siècles avant les premières rencontres avec l’homme blanc. Cependant, les responsables historiques du dérèglement climatique veulent leur imposer un mode de vie et leur méthode pour « protéger la planète ». Toutefois, tout comme la « mission civilisatrice », cela se fera visiblement par la force, si nécessaire…
L’Occident a donc urgemment besoin de faire une introspection de ses maux hérités de l’ère coloniale, et d’apprendre des communautés indigènes du monde entier pour lutter contre le dérèglement climatique.
Dans le même temps, les États africains doivent activement prendre conscience de l’existence de ces mécanismes de dominations, lutter contre la corruption, et protéger les populations indigènes dont les modes de vie sont des trésors culturels, historiques et des sources de savoir inestimables qui sauront être décisifs dans la lutte contre le dérèglement climatique.